Publié le Vendredi 12 mars 2021 à 12h12.

Un syndicaliste des mines candidat aux élections parlementaires en Albanie

Le mercredi 20 janvier 2021, on a appris que le syndicat des mineurs unis de Bulqiza (SMBB) soutiendrait la candidature indépendante d'un de ses mineurs dans le district de Dibra lors des élections du 25 avril. Elton Debreshi, mineur, fils de mineur, père de quatre enfants et chef du nouveau syndicat des mineurs de chrome de Bulqiza, a été licencié il y a plus d'un an en raison de son activité syndicale, avec trois de ses collègues, alors qu'il travaillait dans la fosse sous l'administration d'AlbChrome.

Besoin urgent de changement

Elton Debreshi était l'un des plus jeunes travailleurs lorsque ses collègues mineurs l'ont élu à l'unanimité à la tête du syndicat. En raison d’une vie qui a exigé des sacrifices, il s’a pas eu droit à la légèreté de la jeunesse. Et pourtant, tout ce qui lui est associé est toujours là : l'honnêteté, la gentillesse, l'esprit de solidarité et de protestation. Elton est jeune, non pas à cause de son âge, mais parce qu'il a refusé de se conformer et de laisser les escrocs, les cyniques et les riches lui dicter sa vie. Le sens de la candidature d'Elton transcende le cadre de la logique électorale et se trouve au fond de chaque dimension de la politique de base, de la politique en tant que création et volonté de la majorité qui est laissée dans l'oubli.

Les manifestations étudiantes massives de décembre 2018 ont mis en évidence non seulement le besoin urgent de changement mais aussi la nécessité d'un mouvement social qui pourrait et devrait inclure toutes les formations sociales ayant un potentiel organisationnel et subversif. Il fallait quelque chose qui dépasse les 30 ans d’omniprésence des oligarques dans les trois grands partis au détriment du peuple. Une question fondamentale a été soulevée : que faut-il faire ?

Il n'a pas fallu longtemps aux travailleurEs pour répondre à cette question. En avril 2019, trois mois après l’arrêt de leur mobilisation , les mineurs de Bulqiza — fatigués des vieux syndicats soutenus par le pouvoir en place — ont commencé à exprimer la nécessité d'un nouveau syndicat indépendant. Le 17 novembre de la même année, au centre de Bulqiza, les mineurs ont annoncé la création du syndicat des mineurs unis de Bulqiza. Immédiatement après cet événement, Elton Debreshi et trois autres syndicalistes ont été licenciés et les travailleurs d'AlbChrom se sont mis en grève. Ils exigeaient une augmentation de salaire, la réduction du temps de travail, la reconnaissance de l'ancienneté et des difficultés au travail, l'indemnisation en cas d'accident, la négociation d’une  convention collective avec le nouveau syndicat qui avait gagné plus de 600 membres, et surtout le retour au travail des syndicalistes licenciés. Une fois la grève terminée, les mineurs syndiqués, poussés par la force qui donne de la conviction dans la cause, et avec le soutien de nombreux amis, ont entrepris de faire signer une pétition pour la reconnaissance légale du statut de mineur, recueillant plus de 11 000 signatures et la solidarité des citoyens dans tout le pays.

Absence d'une alternative populaire

Jamais auparavant, pendant les longues années de transition, la lutte des travailleurs n'avait été menée avec une telle ferveur en Albanie. Samir Mane, l'homme le plus riche et le plus puissant d'Albanie, soutenu par le gouvernement et l'opposition, a veillé à ce qu'aucun média ne rapporte la nouvelle de la grève. Samir s'est assuré que même les petits partis ou les individus « indépendants » gardent le silence à ce sujet. Des syndicats pourris aux mains de propriétaires riches et puissants se sont battus contre l'effort collectif des travailleurs qui risquent leur vie sous terre. Et encore une fois, plus la pression fut forte, plus grande fut la résistance.

Ces évènements ne se sont pas produits par hasard.  Il n’y a pas eu de conspiration universelle pour rapprocher dans le temps et l'espace les protestations des étudiants, des mineurs, des ouvriers des raffineries de pétrole et des artistes mobilisés contre la démolition du Théâtre national. Ce sont des conditions et contradictions qui ont produit l'événement. Le gouvernement d'Edi Rama ne peut pas se justifier, du moins depuis la protestation des étudiants. Même les plus fervents admirateurs du libéralisme n'auraient pas imaginé que de tels événements politiques se produiraient.

La mise en œuvre des politiques néolibérales — privatisation des entreprises publiques, réformes néolibérales dans l'enseignement supérieur, cession de services publics à des oligarques proches du pouvoir, violence systématique contre les petites entreprises camouflées en lutte contre l'informalité — s'est imposée dans une  société désorganisée qui avait tourné son regard vers l'Occident, où des centaines de milliers d'Albanais fuient, légalement ou non. À l'image de cette même structure de pouvoir s'ajoutent non seulement la haine culturelle pour l'homme du commun mais aussi le fouet qui remplace la façade de légalité. La violence brutale devient désormais le seul outil de maintien du pouvoir face à l'absence d'une véritable opposition et d'une alternative populaire qui parle la langue du peuple.

C'est dans ce contexte qu'il faut trouver une alternative fiable et porteuse d'espoir. Elton Debreshi est une telle alternative. Un personnage qui a le potentiel de remettre en question l'hégémonie du pouvoir corrompu et d'apporter de l'espoir à tous les groupes sociaux marginalisés. Ce n'est pas son ambition politique qui le pousse à monter sur le podium du Parlement, mais la demande historique des mineurs et des citoyens pour une représentation réelle et honnête. Une représentation débarrassée de l'influence des groupes criminels, de la violence et des entreprises douteuses. Elton Debreshi a, pendant de nombreuses années, fait fonctionner par son travail un système qui produit des biens au profit des oligarques. Il est maintenant temps de rechercher, au nom de la ville de Bulqiza, la juste part qui revient à ces personnes qui travaillent et vivent sur une terre riche, bénie par le chrome, mais qui passent leur vie dans la pauvreté.

L'espoir n'a pas de frontières et de limites. L'espoir est une matière vivante, qui plonge ses racines dans la conscience des opprimés. Cet espoir se transforme en la conviction que les organisations de mineurs et d'étudiants ne s'écrouleront pas le lendemain. C'est pourquoi la lutte d'Elton Debreshi constitue l'articulation politique d'une logique historique. Inévitable par rapport à l'histoire, non pas sous la forme du leader suprême, infaillible et absolu, ni comme une issue nécessairement positive aux événements ; mais l'inévitabilité historique comme le moment où les opprimés apparaissent sur la scène publique. L'histoire parle le langage des batailles malgré le triomphe ou la défaite. En ce sens, Elton est la voix qui se fait l'écho des aspirations sociales communes à un changement radical.

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Enriko Peçulaj et Frenklin Elini sont des militants d'Organizata Politike.

Article publié en anglais sur LeftEast le 26 février 2021, traduction Catherine Samary.