Un point de vue palestinien sur la récente évasion de six prisonniers politiques, malheureusement repris, de la prison israélienne de Gilboa.
Quelles sont les leçons que nous, Palestiniens, avons tirées de l’évasion réussie de six prisonniers politiques au début du mois ? Cette évasion a mis à genoux le système de sécurité « mythique » d’Israël. Tous les Palestiniens, qu’ils vivent dans les zones occupées en 1967, qu’ils soient citoyens de troisième classe d’Israël ou qu’ils vivent dans des camps de réfugiés misérables et en exil, ont vécu deux semaines d’une « liberté imaginaire » créée par les prisonniers. Ils avaient le sentiment d’être plus pleinement humains, et de pouvoir transformer ce monde (injuste).
Un acte d’émancipation
L’acte héroïque lui-même a réussi à détruire un mythe et à créer une nouvelle réalité : le mythe que la sécurité d’Israël est inattaquable, et la réalité que les Palestiniens ont toujours une volonté résolue de liberté. Notre « Justice League » a réussi à humilier l’ensemble du projet sioniste et ce qu’il représente, à savoir le colonialisme de peuplement et l’apartheid. D’où l’euphorie des Palestiniens et des Arabes et l’effusion de soutien des nations anciennement colonisées et d’autres amoureux de la liberté.
[Le pédagogue brésilien] Paulo Freire aurait appelé cela une « potentialité non testée », une philosophie élaborée de l’espoir qui appelle les groupes marginalisés à dépasser leurs « situations limites » et, plus important encore, à transformer des conditions hostiles en un espace d’expérimentation créateur de liberté, d’égalité et de justice. En somme, s’émanciper ! Nous avons également appris de Freire que toute action entreprise sur le monde transforme nécessairement le monde tel que nous le connaissons, et que cette transformation du monde affecte la manière dont nous agissons ensuite sur lui. C’est en entrant dans ce processus que les individus apprennent à devenir des sujets qui agissent sur un monde dynamique et ouvert, au lieu de rester des objets passifs sur lesquels on agit simplement dans des systèmes fermés et immuables, comme veulent nous le faire croire l’Israël de l’apartheid et comme l’ont fait l’Afrique du Sud blanche et l’Amérique de Jim Crow avant lui.
Une cuillère contre le colonialisme
Oubliez The Shawshank Redemption, Prison Break et The Great Escape... il est peu probable que les six héros aient entendu parler de ces films. Ils n’ont pas la peau blanche, les cheveux blonds, mais n’ont pas non plus de complexe d’infériorité. Ce sont des prisonniers palestiniens, des réfugiés, auxquels le monde a décidé de tourner le dos et de faire payer le prix d’un massacre commis il y a plus de 75 ans en Europe. Ce que nous avons appris de ces héros, c’est que les idées de libération ne sont pas des visions figées du monde, mais qu’elles visent à changer le monde, et que l’apartheid et le colonialisme de peuplement peuvent être vaincus même avec le plus petit outil disponible : une cuillère !
Le choc, voire l’horreur, exprimé dans presque tous les médias israéliens, est le reflet du racisme profondément ancré dans l’idéologie sioniste et de son impact sur l’esprit des Israéliens ordinaires. Zakaria Zubeidi, l’un des six prisonniers repris, a ceci à leur dire : « Qu’attendez-vous d’une personne dont vous avez affamé le père en l’empêchant d’exercer sa profession d’enseignant, dont vous avez ensuite tué la mère devant lui, abattue par un sniper, dont vous avez tué le frère et les meilleurs amis au côté de 370 fils et filles d’un camp de réfugiés entassés dans un kilomètre carré ? Qu’attendez-vous d’une personne dont vous avez déplacé la famille et le peuple et dont vous avez supprimé les droits de la manière la plus sévère, que vous avez arrêté vingt fois et que, chaque fois, vous avez torturé jusqu’à la rendre physiquement handicapé dans la fleur de l’âge ? »
Traduction J. S.