Publié le Samedi 22 juin 2024 à 17h00.

« S’engager dans la solidarité est un contrat à durée indéterminée »

Entretien. Europe solidaire sans frontières (ESSF) est bien connu des militantEs de la Quatrième Internationale pour offrir sur son site une documentation riche et abondante. C’est aussi une association de solidarité concrète. Pierre Rousset nous raconte cette aventure commencée il y a plus de vingt ans.

Peux-tu présenter ton association ?

Europe solidaire sans frontières (ESSF) est une association de solidarité internationale qui a tissé des liens privilégiés en Asie. Notre site internet bilingue (français et anglais) est cependant multithématique et généraliste, même si l’Asie, une partie de l’Europe et la France y occupent une place plus importante que celles d’autres régions. L’année 2005 représente dans notre histoire un « choc fondateur ». Le tsunami de décembre 2004 dans l’océan Indien a été véritablement dévastateur et nous a convaincus qu’il fallait renforcer l’aide financière envers nos organisations sœurs asiatiques.

En octobre 2005, je me suis rendu dans le nord du Pakistan et le Cachemire sous occupation pakistanaise qui avaient été frappés par un violent tremblement de terre. Nos partenaires locaux étaient parmi les premiers à avoir reconstruit des habitations en dur, alors que l’hiver s’annonçait. Cette expérience a été pour moi une leçon de choses : notre rôle est de soutenir des organisations progressistes localement implantées, à même de décider des priorités concrètes en connaissance de cause, et de les mettre en œuvre en consultation étroite avec la population concernée, aidant à leur auto-organisation.

Nous sommes passés de campagnes de solidarité ponctuelles à une politique de soutien en permanence envers nos partenaires au Pakistan, en Indonésie, à Mindanao (Philippines), puis au Bangladesh. 

En effet, en 2005 déjà, nous savions que les catastrophes dites naturelles (qui peuvent être d’origine humaine) allaient se succéder, ainsi que les conflits armés dont les populations civiles paient le prix, ou encore que la répression des militantEs de gauche serait récurrente. Vingt ans plus tard, on continue. S’engager dans la solidarité est un contrat à durée indéterminée.

Qu’est-ce qui vous a permis de poursuivre une telle activité ?

La force d’impulsion initiale, tout d’abord, et les multiples soutiens dont nous avons bénéficié. Je suis, ici, obligé de parler de mon parcours. En 2005, cela faisait déjà 40 ans que je militais. J’ai été longtemps membre de la direction de la Quatrième Internationale où l’une de mes responsabilités principales était de faire le lien avec un large éventail d’organisations asiatiques. J’ai aussi été un temps membre du Conseil international du Forum social mondial, ainsi que du Forum populaire Asie-Europe, et je me suis engagé dans de nombreux comités de solidarité en France. Durant la législature 1999-2004, étant rattaché à la délégation de la LCR, j’ai travaillé au Parlement européen pour le groupe de la GUE/NGL (dont Francis Wurtz, dirigeant du PCF, était alors le président) et pour le Forum parlementaire mondial — une bonne partie de mes activités y étaient asiatiques.

En fait, l’ancêtre de l’actuelle Europe solidaire sans frontières était une association au service de députéEs européenNEs (d’où son nom). La législature terminée, nous en avons « hérité » et nous l’avons refondée en tant qu’association de solidarité internationale, avec la bénédiction de mes camarades de la Quatrième Internationale qui nous ont aidés de multiples façons, tout en respectant, je le souligne, l’indépendance de l’association. Une expérience intéressante qui a permis à Adam Novac de nous rejoindre en 2019 et de marquer de son empreinte notre développement.

Deux chiffres significatifs du travail accompli : depuis 2005, nous avons collecté près de 500 000 euros dont l’intégralité a été envoyée à nos ­partenaires asiatiques (nous prenons nous-mêmes en charge les frais de fonctionnement du site ou de l’association et aucun d’entre nous n’est rémunéré sous une forme ou une autre). Nous avons développé notre site internet au-delà de ce que nous avions imaginé : il comprend aujourd’hui 70 000 pages — merci à Arnaud notre web­master. Depuis peu, nous multiplions les traductions vers le français (merci à Pierre Vandevoorde) et nous bénéficions aussi de la richesse du blog « Entre les lignes, entre les mots » qui offre une ­documentation hors pair.

Un site internet comme le nôtre permet une collaboration active avec de nombreux mouvements dont nous pouvons reproduire les prises de position et analyses. Il fournit une documentation très variée et peut être mis au service de multiples causes, en dehors du champ propre de responsabilité d’ESSF. En réseau avec d’autres sites, nous avons ainsi pu contribuer très activement à la campagne internationale de soutien au soulèvement « Femme, vie, liberté », en réponse à l’appel de l’association Solidarité socialiste avec les travailleurs en Iran (SSTI) et avec l’investissement d’Alain Baron. Nous pouvons recevoir des fonds et les transmettre quand, comme dans ce cas-ci, il leur faut du temps pour rouvrir leur propre compte en banque. Nous pouvons renforcer considérablement la couverture d’une situation de crise, comme aujourd’hui l’Ukraine et la Palestine. Le tout dans un esprit de solidarité : nous défendons toutes les populations victimes, quelle que soit la puissance ou le régime qui les opprime. Il s’agit pour nous du fondement même de l’internationalisme.

La solidarité, toujours plus nécessaire ?

Nous vivons un moment terriblement paradoxal. La « polycrise », la crise globale est une donnée présente dont les effets ravageurs sont déjà évidents. C’est à ce moment que les pouvoirs établis, politiques et économiques, annulent les maigres mesures qui avaient été prises pour limiter le réchauffement climatique et criminalisent les mouvements écologistes. Ils visent à détruire les solidarités anciennes et à interdire le développement de solidarités nouvelles.

C’est dans une large mesure sur le terrain des solidarités, de nos solidarités, que se joue l’avenir. Il nous faut faire face ensemble, que ce soit sur le plan local, national ou international. Nous sommes très conscients de notre petitesse, mais nous ne nous sentons pas seuls : au fil des décennies, nous nous sommes intégrés à un vaste réseau informel de « points d’appui » sur divers continents qui partagent la même perception des urgences et la même conception de la solidarité.

Dans cette partition collective, nous avons une responsabilité particulière : assurer la pérennité du soutien envers nos camarades asiatiques alors que l’attention internationale est polarisée par l’Ukraine et la Palestine. La situation en Asie du Sud et du Sud-Est est dramatique. Cette partie du monde ressent brutalement les conséquences du chaos climatique. Je remercie donc une nouvelle fois toutes celles et tous ceux qui contribuent à notre fonds de solidarité Asie.

Propos recueillis par la rédaction

Pour en savoir plus :

https://www.europe-solid…