La déclaration unilatérale d’indépendance de l’État d’Israël en mai 1948 n’est pas tombée du ciel : elle est une étape décisive dans la consécration d’un projet national/colonial qui s’est développé en Europe dans la deuxième partie du 19e siècle.
Le 1er congrès sioniste se réunit en août 1897, à Bâle. Il consacre la transformation en mouvement politique d’un courant idéologique né en Europe au cours de la seconde moitié du 19e siècle. Face au développement d’un antisémitisme virulent et meurtrier, les sionistes, dont l’une des principales figures est Theodor Herzl, auteur de l’État des Juifs (1896), postulent l’impossibilité d’une coexistence entre Juifs et nations européennes, et préconisent en conséquence la création d’un État juif. Ce courant est très minoritaire chez les Juifs, beaucoup plus attiréEs par les organisations ouvrières, tel le parti Bund qui regroupe en Europe orientale des centaines de milliers de militantEs juifs se revendiquant du socialisme.
Les résolutions du congrès de Bâle déterminent les objectifs du mouvement sioniste. Le but est « d’assurer au peuple juif un foyer en Palestine garanti par le droit public ». Pour y parvenir, les délégués recommandent « l’encouragement systématique à la colonisation de la Palestine » et « des démarches […] afin d’obtenir des gouvernements le consentement nécessaire pour atteindre le but du sionisme ».
Ces deux recommandations annoncent deux contradictions qui structureront, et structurent encore, le conflit entre Israël et le peuple palestinien. La première est la contradiction entre la volonté de créer un État juif en Palestine et la présence d’un peuple sur cette terre (il n’y a que 5 % de Juifs en Palestine en 1900). La seconde est la contradiction entre la rhétorique émancipatrice du sionisme et sa communauté d’intérêts avec les pays impérialistes.
« Avant-garde de la civilisation contre la barbarie »
Le projet sioniste est un projet colonial qui suscite la désapprobation des autochtones. Il a donc besoin de l’appui des puissances qui dominent la région, notamment de la Grande-Bretagne qui exerce un mandat sur la Palestine après la Première Guerre mondiale. Ce soutien est affirmé en novembre 1917 par le ministre britannique des Affaires étrangères, Lord Balfour, qui déclare que « le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ».
Les Britanniques ont été convaincus par les garanties données par Chaïm Weizmann, dirigeant sioniste résidant à Manchester. Il a repris l’argument de Theodor Herzl, considéré comme le père fondateur du sionisme, qui écrivait que l’État juif serait « l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie ». Le premier gouverneur britannique de Jérusalem déclare au début des années 1920 que l’État juif sera « un petit Ulster juif loyaliste dans un océan d’arabisme potentiellement hostile ».
Forte de ce soutien, la colonisation s’accélère dans les années 1920 et 1930. L’allégeance sioniste aux intérêts impérialistes se concrétise en 1936 : lors du premier soulèvement des PalestinienEs contre la colonisation juive et la tutelle britannique, les milices sionistes épaulent l’armée britannique pour écraser une révolte qui menace de prendre une tournure régionale.
Nettoyage ethnique
La Seconde Guerre mondiale et le génocide confèrent une légitimité nouvelle au sionisme. De plus, les grandes puissances voient plutôt d’un bon œil la création d’un État allié au cœur d’une région fortement déstabilisée par le développement des mouvements anticoloniaux. En novembre 1947, l’ONU décide d’un partage de la Palestine entre un État juif (54 % du territoire) et un État arabe (46 %).
Les Juifs ne représentent alors qu’un tiers de la population. Les dirigeants sionistes vont tout mettre en œuvre pour étendre la superficie de l’État juif et pour en expulser les non-Juifs : la colonisation n’ayant pas suffi, il faut en passer par le nettoyage ethnique. Lorsqu’en mai 1948 Israël déclare son indépendance, qui déclenche la première guerre israélo-arabe, 400 000 PalestinienEs ont déjà été chassés.
Entre 1947 et 1949, environ 800 000 PalestinienEs, soit 80 % de ceux qui résidaient à l’intérieur du territoire sur lequel Israël proclame son indépendance, sont expulséEs et deviennent des réfugiéEs. Ce ne sont pas des victimes « collatérales » de la guerre de 1948, mais les victimes d’un plan d’expulsion minutieusement établi, le Plan Daleth, dont l’objectif était simple : le plus de terre et le moins d’Arabes possible sous juridiction israélienne.
C’est la « Nakba », durant laquelle 10 000 PalestinienEs seront tués, dont certainEs au cours de véritables massacres, comme à Deir Yassine (avril 1948, plus de 100 morts) ou Kfar Etzion (mai 1948, plus de 100 morts). Les forces armées sionistes prennent le contrôle de 774 villes et villages et en détruisent 531. L’État juif est né du nettoyage ethnique des PalestinienEs, au terme duquel, à l’armistice signé en février 1949, moins d’un tiers de la population s’est attribué 78 % de la superficie de la Palestine du Mandat.