Lors de la réunion publique qui s’est tenue à Bourges le 4 février, Salah Hamouri a exposé la situation des prisonniers palestiniens.
Les prisonnierEs politiques palestiniens, étaient, avant le 7 octobre 2023, plus ou moins 5 000 de Gaza, de Cisjordanie, de toute la Palestine, ayant passé 10, 20, 30 et 40 ans en prison, des hommes et des femmes dont certains sont morts. Cette question de la libération de ces prisonnierEs a été un des éléments déclencheurs du 7 octobre 2023. Tout le monde s’accordait pour dire que : « ça suffit ! » Il y en a assez que des femmes et des hommes passent tant d’années dans les prisons sans que personne n’en parle. Après le 7 octobre, il y avait entre 14 et 16 000 détenuEs.
Des traitements intolérables
Seulement 48 heures après le 7 octobre, les PalestinienNEs ont subi des conditions inhumaines, tortures quotidiennes, physiques, psychologiques. Des conditions que moi, en dix ans de prison, je n’ai pas connues.
Pour ceux de Gaza, il y avait le fameux centre de détention Sde-Teiman. Selon le chiffre donné par le journal Haaretz, et ce n’est pas encore définitif, il y a entre 45 et 55 PalestinienNEs tuéEs sous la torture physique. Des tortures qu’un être humain ne peut pas imaginer. Il y en a une, publiée dans un journal, qui me marque toujours. Ils ont enterré les hommes dans le sable du désert jusqu’à la tête pendant des jours. Ils lâchent les chiens sur ces gens pour qu’ils leur chient dessus, leur pissent dessus pendant des semaines et des semaines. Ils leur donnent à peine à manger. Il y a des rapports qui font état de violences sexuelles, de viols contre des hommes et des femmes. On a vu le témoignage, en vidéo, des forces spéciales qui ont violé un prisonnier. Pour les prisonnierEs de la Cisjordanie aussi il y avait ces tortures : 19 d’entre eux ont été tués dans les prisons israéliennes, à cause de la torture ou de la négligence médicale. Aujourd’hui, les prisonnierEs se trouvent entre les bases armées, les centres de détention et les prisons. Il y a entre 27 et 30 lieux de détention. Les prisonnierEs n’ont pas le droit de visite ni de la Croix-Rouge ni des parents. Aucun contact avec l’extérieur. J’ai vu des images de prisonniers libérés la semaine dernière qui demandaient si leurs parents, leurs enfants étaient encore en vie. Il y a vraiment un génocide aussi à l’intérieur des prisons.
Après les échanges*, 12 femmes et 30 enfants n’étaient pas encore libérés mais vont sortir dans les prochaines vagues. On trouve des enfants de 12, 13, 14 ans jusqu’à 18 ans car, pour les Israéliens, un enfant palestinien peut être jugé et aller en prison à partir de 12 ans. Le plus jeune, sorti la semaine dernière, avait 13 ans, arrêté à l’âge de 12 ans. Des enfants aussi sont sortis avec des dos cassés, des pieds cassés. Les prisonniers libérés prennent directement des bus de la Croix-Rouge vers des hôpitaux. La dernière prison pour libérer les prisonnierEs de la Cisjordanie, c’est une prison à côté de Ramallah qui s’appelle Ofer.
Pour chaque prisonnier, il y a 4 ou 5 gardiens qui leur disent : bienvenus pour la fête de l’« au revoir ». La fête de l’« au revoir » consiste à leur ligoter les mains et les pieds, les mettre par terre, leur marcher dessus, leur pisser dessus, les taper. J’ai vu des prisonniers évacués de la Croix-Rouge, des bus à l’hôpital, avec des côtes cassées durant la dernière heure avant qu’ils soient libérés.
C’est Gaza qui est dans les médias aujourd’hui, c’est compréhensible, mais il y a vraiment des crimes contre l’humanité dans les interrogatoires, quotidiennement dans les prisons.
Les prisonniers en détention administrative
La détention administrative, c’est une loi qui a été faite par les Britanniques avant l’occupation de 1948, et les Israéliens l’appliquent pour les PalestinienNEs. Un ordre militaire permet à l’armée israélienne d’arrêter n’importe quel Palestinien pour une durée entre un mois et six mois. Cette durée est renouvelable. On peut recevoir des ordres de six mois, plus six mois plus six mois... Jusqu’à deux, trois, quatre ans de détention basée sur un dossier de sécurité secret entre le procureur militaire et le juge militaire. Il n’y a pas de charge, pas de jugement. Le prisonnier et son avocat ne savent pas pourquoi il est en prison. Dans ce cas, il y a aujourd’hui 3 000 femmes, enfants, hommes détenus dans ce cadre totalement illégal. Ils peuvent passer des années, tels des camarades à moi qui ont passé 15 et 16 ans en détention administrative. Ils passent trois ans, quatre ans, ils sont libérés, un mois, deux mois, et on remet encore trois, quatre ans de détention et ça continue... Depuis les années 2000 jusqu’à aujourd’hui, le système carcéral israélien n’a rien à voir avec le problème invoqué de « sécurité des israéliens ». Il s’agit d’essayer de briser la volonté, la psychologie des prisonnierEs. Depuis 1967 — il n’y avait pas de décompte exact avant — jusqu’à aujourd’hui 900 000 PalestinienNEs sont passés par les prisons israéliennes, c’est-à-dire 35 % à 37 % de la société palestinienne. Il n’y a pas une maison sur deux où tu n’as pas un ou une prisonnière qui y a passé des mois, des années. Ce système carcéral israélien fait partie des moyens de destruction de la société palestinienne, des moyens de contrôle de la vie des PalestinienNEs.
Des résistances
Malgré les difficultés qu’on vit en prison, avec les années les PalestinienNEs ont pu développer un système de résistance et arracher des droits avant le 7 octobre, parce qu’après c’était impossible. Une résistance faite de grèves de la faim dont les deux auxquelles j’ai participé en 2011 et 2022. Ces grèves de la faim, c’était notre dernier moyen de résistance pour arracher des droits, des trucs qui peuvent paraître très normaux. Par exemple, obtenir un matelas qui fait 2 cm de plus que celui qu’on avait, négocier une plaque chauffante, une heure ou deux heures de plus dans la cour au lieu d’être enfermé 20 heures sur 24. Des droits de visite pour les gens de Gaza (interdits avec la « loi de Schalit ») entre 2006 et 2008. Cela peut paraître des besoins simples mais pour cela on a déclenché des grèves de la faim à plusieurs reprises et il y a des camarades qui sont tombés en martyrs dans ces grèves de la faim. On a pu développer un système de résistance sans se cacher. Pour nous, la résistance à l’intérieur de la prison c’est un droit. Les Israéliens veulent briser notre psychologie, notre mentalité et faire de nous une charge pour nos familles et sur nos sociétés. On a fait l’inverse en prison pour pouvoir résister collectivement et monter ce système de solidarité. On a pu construire une vie solidaire, collective.
C’est ce qui nous a permis de développer notre culture, développer notre niveau politique, notre niveau idéologique, notre engagement envers notre patrie et pour les valeurs de l’humanité, la liberté de notre peuple et la liberté des humains en général. Toutes les figures qui apparaissent, aujourd’hui dans tous les partis politiques palestiniens, de toutes régions palestiniennes, ce sont des gens qui sont passés par les prisons israéliennes, qui y ont été formés, des gens qui y ont subi le pire. Aujourd’hui* on a eu la libération de 1 967 prisonnierEs. La dernière vague, ce sera samedi 15 février avec 22 ou 23 otages au total qui vont être libérés. Il restera 58 otages à Gaza et 14 000 otages palestiniens dans les prisons israéliennes. Il est inacceptable que les gens passent leur vie en prison. Inacceptable qu’un Palestinien passe 10, 15, 20 ans et même 30 ans et 40 ans. Le plus ancien qui devrait être libéré, Nael Barghouti, a passé 45 ans en prison, Ibrahim Abu Moh passe sa 43e année en prison. Les négociations vont être dures les prochaines semaines qui viennent. Mais il y a une volonté de libérer ces hommes, ces femmes et ces enfants de l’enfer des prisons israéliennes.
* À la date du 6 février.
Transcription et intertitres de Robert Pelletier