Par David Finkel(1)
La rhétorique belliqueuse du premier ministre israélien Netanyahou, de plus en plus furieux et menaçant au fil des jours, a amené beaucoup de gens à croire que le régime israélien avait vraiment l’intention d’attaquer l’Iran, même sans le soutien des états-Unis. Cette position est particulièrement répandue parmi les militants qui croient que le « lobby israélien » contrôle la politique américaine au Moyen-Orient, ou même globalement.
Netanyahou a choisi le jour des commémorations des attaques d’Al Qaida du 11 septembre 2001 pour ouvertement défier l’administration Obama pour son refus de tracer des « lignes rouges » explicites au développement du programme nucléaire iranien. Il a averti que ceux qui n’étaient pas prêts à le faire « n’avaient aucun droit de mettre des feux rouges en face d’Israël. » A tout le moins, c’est le signe d’une intervention gouvernementale israélienne dans les élections américaines, avec l’espoir de faire chuter Obama et de porter le vieil ami de Netanyahou, Mitt Romney, à la Maison Blanche.
Mais Israël va-t-il réellement envoyer des avions bombarder les installations nucléaires iraniennes, forçant les États-Unis à s’engager et déclenchant une crise potentiellement incontrôlable ? Des analystes plus sérieux voient se dérouler une partie complexe à trois joueurs, comme l’a décrite George Friedman : « La stratégie iranienne consiste à maintenir une ambiguïté sur le statut de son programme tout en laissant transparaître qu’il serait capable d’un succès rapide, ceci sans jamais atteindre au but. La stratégie israélienne est d’apparaître comme se trouvant au bord d’une attaque sans jamais attaquer et d’utiliser les États-Unis comme un motif pour réfréner une attaque. Pendant que les États-Unis se satisfont de leur rôle de retenir Israël d’une attaque que ce pays ne semble pas vouloir lancer. »
Etrangler le régime iranien
En même temps, l’impérialisme US voit l’Iran piégé du côté finalement perdant de la guerre civile en Syrie, ce qui conduira à un recul sérieux de sa puissance et de son influence régionale. Il ne faut pas s’y tromper : l’objectif de l’impérialisme est sans nul doute la paralysie de la prééminence politique iranienne et de ses équipements militaires conventionnels (la question des armes nucléaires potentielles, tout en faisant les gros titres, est actuellement complètement secondaire) et, finalement, le renversement du régime de Téhéran. L’administration américaine croit que cet objectif peut être atteint par un étranglement économique et politique, en faisant en dernière instance intervenir l’armée, peut-être de façon couverte.
Cependant, Netanyahou semble déterminé à forcer le pas, pas seulement en lien avec ses amis les néoconservateurs américains fous de guerre, mais parce qu’il est apparemment obsédé par son rôle de leader destiné à être le « sauveur du peuple juif d’un second holocauste. » Alarmés par les délires messianiques de Netanyahou, des officiers israéliens en retraite de l’armée et du renseignement – sans aucun doute en contact avec leurs homologues américains – ont rendu publique leur opinion sur Netanyahou et son ministre de la défense Ehud Barak, en les décrivant comme des incompétents conduits par leur égo. Les relations de Netanyahou avec Obama sont notoirement empoisonnées et empreintes d’un mépris réciproque, mais les intérêts des états prévaudront toujours sur les antipathies personnelles.
Beaucoup de partisans du combat des Palestiniens envisagent la crise États-Unis/Israël/Iran avec la même analyse que les saccages israéliens dans les territoires occupés. Les atrocités journalières de l’occupation, avec le total effondrement moral et politique de l’administration Obama sur la Palestine, renforcent la perception que la queue sioniste remue le chien américain. Ce pont de vue néglige la différence entre intérêts centraux et marginaux de l’impérialisme.
La Palestine, une question secondaire pour les USA
La tragédie palestinienne est une préoccupation de second, voire même de troisième ordre pour la stratégie américaine. Les réalités de la destruction de la vie en Palestine sont sans importance pour l’impérialisme tant que peut être maintenue la fiction d’un « processus de paix » conduisant à une « solution à deux États » qui en fait s’éloigne sans cesse. C’est pourquoi, quand il s’agit du domaine strict du conflit Israël-Palestine, la politique des États-Unis est vraiment dominée par le « lobby », une alliance, pas sainte du tout, des principales organisations juives, des sionistes chrétiens évangélistes et de l’appareil militaro-industriel. Les intérêts régionaux plus globaux sont autre chose.
L’État d’Israël, depuis des décennies et particulièrement depuis 1967 (date de la guerre des Six jours), a été un instrument puissant des États-Unis pour faire la police au Moyen-Orient contre la gauche arabe et les courants populistes ou nationalistes. Israël est aussi devenu un partenaire important des USA dans les technologies militaires, dans les méthodes de surveillance et de répression, et également en fournissant des armes à des régimes répressifs (tel que le Guatemala dans les années 1980) devenus trop « sales » pour être des partenaires officiels des États-Unis.
Israël a eu largement les mains libres pour envahir des pays voisins, comme le Liban, et pour mener les raids aériens qui détruisirent les installations nucléaires en construction en Irak (en 1981) et plus récemment en Syrie (en 2007). La récente cyber-attaque « Stuxnet » qui a détruit des centrifugeuses iraniennes a presque certainement été une opération conjointe des services secrets d’Israël et des États-Unis, et Israël n’a même pas démenti organiser des attentats à la voiture piégée contre des scientifiques iraniens.
Mais tout cela ne donne cependant pas à Israël un permis sans restriction pour impliquer les États-Unis dans une confrontation militaire majeure qui ne correspondrait pas à la volonté et à l’intérêt américains. L’idée qu’Israël a pu manipuler la désastreuse invasion de l’Irak est un fantasme de gauchistes naïfs et de quelques idéologues de droite.
En fait, il semble que l’administration Obama a conclu (ou plus ou moins imposé) un accord avec Netanyahou au début 2012. Israël n’attaquerait pas l’Iran unilatéralement contre la volonté américaine, bien que ses menaces bruyantes de le faire puissent être tactiquement utiles. En échange, les USA bloqueraient toutes les initiatives internationales, aux Nations-Unies ou ailleurs, pour réfréner le régime colonial d’apartheid dans les territoires occupés – même si l’image des USA devait en être atteinte.
Obama a certainement respecté la part américaine de l’accord, même si cela a montré au monde entier l’hypocrisie américaine sur la Palestine. La peur que Netanyahou rompe l’accord peut se trouver à l’arrière-plan du coup de téléphone médiatisé du président Hollande, pressant le Premier ministre israélien de ne pas attaquer l’Iran.
Il est possible que le candidat républicain Mitt Romney, lors de sa récente visite en Israël (durant laquelle il a attribué la prospérité israélienne et la pauvreté palestinienne à des « valeurs culturelles » différentes), ait discrètement encouragé Netanyahou a attaquer l’Iran pour créer un crise pré-électorale pour Obama. Cependant, Romney a fortement endommagé sa position avec ses déclarations très maladroites le jour des attaques de l’ambassade américaine en Égypte et du consulat de Benghazi en Lybie. Même ses amis conservateurs cherchent à se distancier des bêtises de Romney sur ce sujet. Ces attaques (ainsi que les événements survenus au Yémen) illustrent les conséquences possibles des erreurs de calcul des impérialistes.
Sur la base d’un comportement rationnel, il n’y aura pas de bombardement israélien de l’Iran avant longtemps et la crise va continuer. Par contre, si pour une raison quelconque (encouragements des néoconservateurs américains, motifs de politique intérieure israélienne, ou ses propres délires), Netanyahou se rebellait, on bascu-lerait dans un contexte où les analyses rationnelles perdraient de leur pertinence. o
1. L’auteur est membre de l’organisation anticapitaliste étatsunienne Solidarity. Titre et intertitres sont de la rédaction de TEAN La Revue. Article traduit par Henri Wilno.