Après un master en communication, un domaine dont elle a très vite compris qu’il n’était pas pour elle, Noémie Fachan enchaîne les jobs de service au Japon — son rêve — puis en France. Elle est aujourd’hui une dessinatrice et autrice de bande-dessinée féministe engagée, créatrice de contenu sur Instagram, et conférencière dans les entreprises, les lycées... On lui doit les excellentes BD « L’œil de la Gorgone » et « Maternités : miracles et malédictions » (voir l’Anticapitaliste n°707 du 9 mai 2024). Entretien avec Noémie Fachan, aka @maedusa_gorgon.
As-tu toujours été féministe ou est-ce quelque chose qui s’est construit petit à petit ?
Au départ, j’étais féministe sans le savoir. Je n’avais pas lu les grandes références, ni Simone de Beauvoir ni Mona Chollet… Quand j’ai créé la page @maedusa_gorgon il y a trois ans, j’ai surtout voulu parler de moi, et de ma propre expérience de vie : agressions sexuelles, harcèlement, agissements sexistes… Comme beaucoup de personnes concernées je me sentais seule, je pensais que c’était moi qui avais un problème, quand c’était dans le couple je me remettais toujours en question. C’était sans doute à moi de changer... Ce personnage de Gorgone d’aujourd’hui, c’était vraiment la personne en colère en moi qui avait des choses à dire. C’est en voyant les retours et les réactions que ça provoquait que j’ai compris que j’étais loin d’être la seule, que c’était très systémique, et que beaucoup de choses avaient été écrites et pensées à ce sujet. J’ai mis à jour mes lectures... C’est par cette voie que j’ai fait mon entrée dans le féminisme.
Ton personnage principal, @maedusa_gorgon, est basé sur le célèbre mythe de Méduse et Persée. Ce personnage mythologique est aujourd’hui devenu une icône féministe…
Méduse est une Gorgone. Dans le mythe qui nous a été appris à l’école, elle est punie par Athéna pour avoir été violée dans son temple par Poséïdon. Elle est contrainte de vivre recluse, avec ces fameux serpents sur la tête, condamnée à figer tous les hommes dont elle croisera le regard. Persée est le formidable héros qui parvient, par la ruse, à la décapiter. Si on lit les choses autrement, on peut tout à fait imaginer qu’Athéna n’a pas cherché à la punir, mais plutôt à la doter d’armes pour se défendre des hommes... Méduse aurait pu choisir de devenir une furie vengeresse, au lieu de quoi elle va délibérément s’installer au fin fond d’une grotte, où elle ne pourra nuire à personne. Et, alors même qu’elle est peinarde dans son trou, Persée la traque et la supprime. Il n’est pas étonnant de constater que les féministes se la réapproprient aujourd’hui... Dans mes histoires, les Gorgones sont les femmes, mais aussi toutes les minorités de genre, les personnes discriminées de manière générale. Les Persée sont les hommes auxquels iels sont confrontéEs.
Tu as choisi de t’exprimer en bande dessinée. Pourquoi ce média en particulier ?
J’ai toujours écrit et dessiné. Quand Maedusa a dû s’exprimer en 2021, il était évident pour moi que ça allait se faire en BD. Avant ça j’étais pourtant très sûre de ne pas savoir faire, de ne pas avoir la vision cinématographique nécessaire… Et j’ai eu beaucoup de chance, ça a très vite marché. Un post en particulier a vraiment changé la donne : en 48 heures, je suis passée de 20 000 à 60 000 abonnéEs. C’était celui où un homme propose à sa copine de s’installer avec lui, et elle lui explique pourquoi, même si elle l’aime, elle refuse de s’engager sur cette voie. Il y a eu énormément de réactions à la suite de cela, de femmes qui se reconnaissaient là-dedans bien sûr, mais aussi d’hommes avec les classiques « Not all men », « elle ne l’aime pas vraiment en fait », etc. Mais il est important de sortir de la bulle du « par amour, je peux tout accepter ». Si on défendait nos droits individuels dans le couple comme on peut le faire au travail, on accepterait beaucoup moins de subir les choses.
S’exprimer en ligne, surtout en tant que femme, est souvent compliqué. Comment gères-tu ces réactions parfois violentes à ton travail ?
J’essaye de regarder tous les commentaires négatifs. Il y en a plusieurs types… les « ouin-ouins », auxquels il est très drôle de répondre de manière ironique, en se moquant d’eux sans en avoir l’air. J’aime beaucoup le faire de façon extrêmement polie, ou en faisant semblant d’aller dans leur sens pour leur montrer l’absurdité de la chose. Et il y a les commentaires directement oppressifs ou violents, que je supprime, puisqu’il est hors de question que les gens qui regardent mes posts les subissent. C’est une page d’opinion personnelle, je ne suis pas un média qui doit représenter tous les points de vue. Mais les commentaires les plus virulents se retrouvent souvent dans la bouche de mes Persée... Je m’en nourris aussi.
Dans ton premier livre « Maternités : miracles et malédictions », tu abordes les injonctions à la parentalité. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
L’éditeur Hatier est vraiment tombé à pic. Elles sont venues me chercher à un moment où je me posais justement toutes ces questions sur la maternité, ce qui m’avait même amené à entamer une thérapie. J’essayais de faire le tri entre mes désirs réels et ceux que la société m’imposait. Hatier avait une collection de livres sur la parentalité, les éditrices sont venues me voir en me disant qu’elles adoraient ce que je faisais, et m’ont proposé d’aborder ce thème précis.
Tu es par ailleurs également conférencière, pour sensibiliser aux questions de sexisme dans les entreprises, les lycées...
Je fais surtout de la sensibilisation aux violences de genre, au harcèlement, au consentement... J’interviens beaucoup dans les quartiers populaires, puisque ce sont surtout ces lycées pro qui vont avoir les subventions et donc le budget pour organiser ce type de rencontre. Je n’ai pas toujours l’impression d’être la plus légitime pour aborder ces sujets dans certains contextes, dans ces quartiers : je suis une femme blanche de bientôt quarante ans qui va se retrouver face à une majorité de très jeunes hommes racisés. Il y a beaucoup de remise en question. Je trouve plus juste d’intervenir aux côtés d’assos locales, mais ce n’est pas toujours organisé ainsi. J’aimerais, pourquoi pas, créer un réseau d’adelphes qui pourraient intervenir à droite à gauche selon leurs qualifications. Mais souvent ce sont les professeurEs qui font appel à moi parce qu’iels ont aimé mon travail, alors j’y vais, je fais de mon mieux, j’essaye de planter de petites graines, le temps d’une intervention.
D’autres projets dans les tiroirs ?
Oui, bien sûr, en septembre il y aura une suite à « Maternités », qui se placera quelques années plus tard et dans laquelle je parlerai d’éducation. La suite de « L’œil de la Gorgone » est prévue pour le printemps 2025. J’ai aussi plein d’autres idées même s’il est un peu tôt pour en parler. Ce n’est pas l’inspiration qui manque ! Trop de projets, si peu de temps (rires). Et puis, je vais évidemment continuer de faire vivre ma page @maedusa_gorgon, même s’il est important de garder en tête qu’avec les réseaux, on n’est jamais sûr de rien, et que tout peut s’arrêter du jour au lendemain !
Propos recueillis par Cyrielle L.A.