Publié le Jeudi 29 novembre 2012 à 11h34.

Gaza : Retour sur l’agression israélienne

Le bilan définitif de la dernière opération israélienne sur la bande de Gaza fait état de 156 morts côté palestinien, et de 6 morts côté israélien. Ces chiffres confirment une fois de plus que, contrairement aux formules diplomatico-médiatiques, nous n’avons pas assisté à une guerre entre Israël et Gaza, mais à une intense campagne de bombardements sur la petite bande côtière, auxquels les groupes armés palestiniens ont tenté de riposter avec leurs faibles moyens militaires.Provocation israélienne« Riposter » ? N’est-ce pas justement l’armée israélienne qui a « riposté » aux tirs de roquettes, comme nous l’ont répété jusqu’à la nausée les porte-parole du gouvernement et de l’état-major israéliens ? De nouveau, les chiffres parlent d’eux-mêmes : aucun civil israélien n’a été tué par des tirs de roquettes dans la période du 29 octobre 2011 au 14 novembre 2012, jour de l’assassinat du dirigeant du Hamas Ahmad Jaabari. En ciblant ce dernier, l’État d’Israël a provoqué la « riposte » : dès le lendemain, trois civils israéliens étaient tués par une roquette. Événement dont le gouvernement Netanyahou s’est servi a posteriori pour légitimer l’opération militaire… alors que c’est précisément celle-ci qui est à l’origine de ces morts.En assassinant Jaabari, l’État ­d’Israël a démontré, une fois de plus, que rien ne l’intéressait moins que de parvenir à un accord durable avec les Palestiniens. Jaabari était en effet, en tant que responsable de la branche militaire du Hamas, un élément essentiel du dispositif du Mouvement de la résistance islamique dans la bande de Gaza. Il était celui qui supervisait depuis 2009 le maintien de la trêve avec Israël, avec notamment l’établissement d’une force de 300 hommes chargés d’empêcher les groupes armés de tirer des roquettes, sauf en cas d’agression israélienne. Jaabari était aussi celui qui avait négocié la libération de Gilad Shalit et son « échange » contre 1 027 prisonniers palestiniens en 2011.Une région en mutationAu-delà des considérants strictement électoraux, le gouvernement Netanyahu a donc sciemment décidé de s’en prendre à l’un de ceux qui incarnaient les changements à l’œuvre dans le Hamas, et notamment le triomphe d’un certain pragmatisme politique. C’est précisément ce pragmatisme qui a permis au Hamas, au cours des dernières années, d’émerger comme un acteur et un interlocuteur politique responsable, loin de l’image véhiculée par certains qui tentent de réduire le mouvement à une bande de terroristes fanatiques. En ciblant Jaabari et en provoquant le Hamas, l’État d’Israël espérait probablement pousser celui-ci « à la faute » et ruiner sa quête de respectabilité, particulièrement en phase avec les changements en cours au Moyen-Orient.Rappelons en effet que pour la seule année 2012, le Premier ministre du Hamas Ismaïl Haniyyeh a été reçu très officiellement en Tunisie, en Turquie et en Égypte, tandis que l’émir du Qatar s’est rendu dans la bande de Gaza en octobre dernier. Autant d’indices qui montrent que la région est en train d’être modifiée en profondeur, et que le boycott dont le Hamas avait été victime en 2006 après sa victoire aux législatives a fait long feu. À mesure que le dispositif régional évolue, le Hamas apparaît comme un interlocuteur incontournable, ce qui, à l’heure actuelle, est intolérable pour un État d’Israël qui refuse que les Palestiniens soient dotés d’une représentation qui tente d’allier poursuite de la résistance et pragmatisme politique. En s’attaquant au Hamas, Israël a non seulement « testé » le Mouvement de la résistance islamique, mais il a également mis à l’épreuve les régimes arabes, au premier rang desquels l’Égypte. En intervenant immédiatement sans se contenter d’obéir aux consignes israéliennes, le régime égyptien a démontré que le temps d’Hosni Moubarak était en grande partie révolu. Mohammad Morsi n’est cependant pas entré en conflit ouvert avec les États-Unis et Israël, et la trêve arrachée par le président égyptien, qui ne règle pas les questions politiques de fond, est précaire, à l’image de l’Égypte post-Moubarak. Les prochaines (et inévitables) confrontations approfondiront ces contradictions et permettront de mesurer la profondeur des bouleversements en cours dans le monde arabe.Julien Salingue