Depuis le 20 avril 2018, à la suite d’un appel anonyme sur Facebook rapidement devenu viral, des franges de plus en plus importantes de la population marocaine se sont mises à boycotter trois entreprises locales – chacune leader dans son marché – accusées de faire des profits excessifs par la vente de leurs produits à prix élevés : Centrale Danone (laits et produits dérivés), Afriquia (distribution de carburants) et Sidi Ali (eau minérale). 42 % de la population participerait activement à ce boycott selon l’enquête d’un journal marocain.
Les appels au boycott pour baisser les prix de ces trois marques sont assortis de revendications contre la vie chère et la dégradation du pouvoir d’achat. Ils rappellent les mouvements de contestation populaire (dits hirak) qui ont secoué depuis 2017 le Rif et les villes de Jerada et Zagora. D’autant plus que ces trois groupes ne semblent pas avoir été choisis au hasard : Centrale Danone appartient au géant français de l’industrie alimentaire Danone, Afriquia à Aziz Akhennouch, deuxième fortune du pays, très proche du palais royal et ministre de l’Agriculture depuis dix ans, et Sidi Ali à Miriem Bensalah, ex-présidente de la CGEM, équivalent marocain du Medef.
Un boycott qui ne faiblit pas
À ce jour le boycott ne faiblit pas et les entreprises ciblées commencent à en ressentir l’impact. Centrale Danone a annoncé une perte de 13,5 millions d’euros au premier semestre 2018… perte qu’elle a utilisée comme prétexte hypocrite pour licencier 886 salariéEs en intérim et réduire de 30 % son approvisionnement en lait auprès des petits producteurs (plus de 100 000). Cette stratégie de division entre salariéEs et boycotteurEs a pu avoir un certain effet : près de 2 000 ouvriers de la Centrale, ayant peur de perdre leur emploi, ont réalisé un sit-in à Rabat. Organisé et encadré par la CDT (Confédération démocratique du travail) et l’UGTM (l’Union générale des travailleurs marocains), ce sit-in prit les allures d’un rassemblement d’appel à l’unité nationale pour l’arrêt du boycott, amalgamant défense des emplois et défense de l’entreprise.
Centrale Danone n’avait pas attendu le boycott pour appliquer dès 2017 un large plan de -restructuration – appelé « plan Tareq » – impliquant baisses de salaires, licenciements et augmentation des cadences. Les salariéEs de la Centrale avaient alors répondu par la mobilisation et par la grève dans une dizaine de villes, causant parfois des pénuries de lait pendant plusieurs jours comme à Tanger.
Le gouvernement et l’État cherchent pour leur part à faire le dos rond. Ils ont annoncé dans un communiqué la création d’une commission d’examen des prix afin de réfléchir à la meilleure façon d’endiguer la crise tout en préservant « l’attractivité du Maroc » pour les investissements : il s’agira probablement de compenser une baisse des prix de quelques denrées par un financement étatique afin de ne pas toucher aux marges des entreprises.
Cette campagne de boycott sans précédent montre la colère existante parmi les classes populaires même si, pour le moment, la lutte contre la vie chère reste cloisonnée sur le terrain du boycott économique anonyme, avec les limites de ce mode d’action.
Myriam Rana