Les images accompagnant la chute des derniers quartiers libres d’Alep-est provoquent à juste titre des protestations dans le monde, hélas pas partagées par tous les leaders politiques. L’évacuation de près de 80 000 habitants et des combattants qui restaient encore dans ce minuscule réduit se fait dans les conditions les plus difficiles...
Après des mois de siège et des semaines d’assaut militaire, les habitants d’Alep ont dû se résoudre à accepter de quitter la ville, comme les insurgés syriens ont été obligés de le faire auparavant à Homs, Daraya et Zabadani... Ils n’ont pu résister aux bombardements incessants avec l’aide des avions russes, à la destruction de toutes les infrastructures et moyens de subsistance, et aux offensives au sol des troupes du régime et des milices dirigées par le pouvoir iranien de Khamenei/Rohani.
Le régime voulait que la reddition se passe sous son contrôle total en direction d’Alep-ouest, avec à la clé la disparition ou l’enrôlement forcé de nombreux hommes dans l’armée de Damas. Mais les insurgés et l’augmentation de la mobilisation dans le monde ont obtenu que l’évacuation finale se fasse vers la zone hors du contrôle du régime, au nord-est d’Alep. Cependant les plus grandes incertitudes continuent de régner sur cette évacuation de milliers d’habitants laissés dans le dénuement le plus total, et qui vont dans une zone qui sera probablement la prochaine cible de Bachar el-Assad.
Crime contre l’humanité
Le régime syrien est en fait résolu à éliminer toute opposition, à n’importe quel prix. Les innombrables crimes de guerre qu’il a commis (emploi d’armes interdites dont les armes chimiques, exactions multiples contre les populations civiles et les combattants désarmés, contre les infrastructures et personnels médicaux, abandon de toute protection des populations) constituent un crime contre l’humanité se déroulant sous les yeux du monde, avec la complicité ou la passivité de quasiment tous les gouvernements.
Presque jusqu’au bout, les habitants d’Alep-est ont espéré un cessez le feu qui serait imposé par une « communauté internationale » sensible à leur martyr. Bien sûr, c’est l’alliance du régime avec Poutine et le pouvoir iranien qui les a écrasés sans aucune pitié. Mais cette alliance n’a fait que porter à l’apogée les outils géopolitiques accumulés depuis des années par toutes les grandes puissances : les justifications étatsuniennes, mais aussi britanniques et françaises aux interventions militaires massives dans le tiers monde au nom de la défense de leurs intérêts étatiques et de la « guerre au terrorisme ». En ce même nom, le renoncement à l’essentiel des protections juridiques des législations portant sur les droits humains (torture, exécutions extra-judiciaires, emprisonnements sans procès, etc.). Pour justifier ces crimes, le droit à la désinformation médiatique la plus cynique. Et pour garantir ces politiques, le droit de veto à l’ONU qui permet à cinq grandes puissances de s’arroger la vie et la mort de populations entières.
Admiration, complaisance et aveuglement
Dans ce contexte, il faut dénoncer les prises de position scandaleuses de Marine le Pen et de François Fillon. Ils admirent Poutine pour sa capacité à incarner un pouvoir fort, qui ne s’embarrasse pas de contingences « droits-de-l’hommistes » et qui défend sans états d’âme la « civilisation chrétienne ». En bons héritiers du colonialisme, ils assument que les peuples de la région arabes doivent être dirigés d’une poigne de fer.
Hélas, nous voyons à gauche des discours tendant à converger avec ce positionnement, remettant en cause les informations les plus vérifiées par les médias, cela au nom des manipulations passées. Malgré sa propension à jouer les victimes, avec d’autres, Jean-Luc Mélenchon persiste à propager le mensonge selon lequel il n’y aurait plus de démocrates dans la résistance à Assad, que les combattants d’Alep sont tous « les assassins de Charlie », voire assimilables à « des Waffen-SS »... passant par pertes et profits le fait que Daesh a été chassé d’Alep en 2014 ! Bref, qu’il n’y a plus rien à défendre dans l’insurrection syrienne. Les tortures et massacres de masse du régime sont relativisés, le fait que les bombardements du régime et de ses alliés épargnent Daesh pour se concentrer sur les zones où existent des coordinations citoyennes est nié.
Leur hypocrisie, nos solidarités
Mais nous ne sommes pas dupes des larmes hypocrites des membres du gouvernement socialiste qui disent défendre le peuple syrien, alors qu’ils en avaient le pouvoir et n’ont rien fait. Ni pour permettre aux Syriens insurgés de se défendre, ni pour empêcher l’aide humanitaire d’être accaparée par l’appareil du régime massacreur, ni pour accueillir dignement les centaines de milliers de réfugiés qui fuyaient la guerre en espérant trouver un asile, même provisoire, dans les pays d’Europe.
Nous ne devons pas nous résigner à accepter la perte de l’humanité élémentaire qui, seule, offre l’espoir d’un avenir meilleur. Il faut saluer et amplifier les mobilisations citoyennes en solidarité avec les habitants d’Alep, exiger l’arrêt immédiat de tous les bombardements au Moyen-Orient, qui ne règlent en rien le problème de la montée de courants terroristes. Nous devons exiger la fin des sièges des villes syriennes, l’envoi d’aide humanitaire d’urgence. Nous devons consolider des liens de solidarité concrets avec les démocrates syriens. Et nous avons besoin d’une révolution complète des institutions internationales comme l’ONU, qui ne servent aujourd’hui qu’aux puissants.
Jacques Babel