De la pérennisation de l’état d’urgence par l’inscription de plusieurs de ses dispositifs dans la loi, à l’automne 2017, au nouveau projet de loi « antiterrorisme et renseignement » adopté en première lecture à l’Assemblée la semaine dernière, en passant par la loi « sécurité globale », Macron et son gouvernement ont, comme leurs prédécesseurs, joué la surenchère législative sur les questions de « sécurité ». Une offensive liberticide sans précédent, qui s’articule avec une offensive raciste, elle aussi traduite dans des textes législatifs — avec notamment la loi « séparatisme », et qui constitue, au total, un cours autoritaire-raciste particulièrement inquiétant.
« Dans un État démocratique républicain, le monopole de la violence légitime, c’est celle des policiers et des gendarmes. » Ainsi s’exprimait, le 7 janvier 2019, Gérald Darmanin, alors qu’il venait d’être questionné au sujet des nombreuses accusations de violences policières commises contre les Gilets jaunes. Darmanin aurait mieux fait de lire le sociologue Max Weber, auquel il prétend se référer, plutôt que de répéter sottement une formule sans la comprendre. Car la formule exacte de Weber est beaucoup plus subtile que ce qu’en ont retenu les petits soldats de la Macronie. Au début du 20e siècle, Weber expliquait ainsi que l’État est une communauté qui « revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Une formule/définition qui tient compte du fait que, contrairement à ce que semblent croire Darmanin et Cie, la légitimité ne se décrète ni ne se proclame : elle repose sur un accord tacite, un consentement, une adhésion.
Force et consentement
Si l’utilisation de la force est au cœur de l’exercice de la domination bourgeoise par le moyen institutionnel de l’État et, en dernière analyse, le moyen ultime pour assurer cette domination, les formules résumant l’État à la seule force armée négligent le fait que le degré d’utilisation de la force par l’État bourgeois peut être variable et doit toujours être pensé en relation avec la quête d’hégémonie des classes dominantes : plus le consentement est faible, plus la classe dominante devra se reposer sur l’appareil d’État et la coercition ; plus l’appareil d’État est faible, plus la classe dominante devra rechercher le consentement des dominéEs.
Ainsi, si la violence d’État est consubstantielle de la domination bourgeoise, elle s’exerce sous des formes et à des intensités diverses selon les configurations politiques et sociales, et doit donc être pensée dans son historicité. La situation que nous traversons actuellement en France, marquée par un degré élevé de répression, est à ce titre singulière, mais elle s’inscrit dans une longue histoire, faite de moments répressifs particulièrement intenses auxquels ont pu succéder des phases où la violence d’État s’exerçait de manière moins brute.
Crise d’hégémonie
L’autoritarisme macronien est aujourd’hui l’expression « à la française » d’une crise d’hégémonie des classes dominantes à l’échelle internationale, qui se déploie sous des formes diverses dans la plupart des « démocraties bourgeoises ». Lors de l’élection de Macron, la question était posée de savoir s’il représentait une solution à cette crise d’hégémonie ou s’il était un produit de cette crise qui ne pourrait, à moyen terme, que l’approfondir. Même si ses contre-réformes répondent aux souhaits de la bourgeoisie, la crise est loin d’être résolue : les réformes sont votées et s’appliquent, mais le consentement n’est pas là. Et rien ne semble indiquer que Macron et les siens seraient en quête de la construction d’une « nouvelle hégémonie », tant leurs rapports aux formes les plus classiques de médiation et donc de production de consentement (partis, syndicats, associations et même, dans une certaine mesure, médias) témoignent, à l’égard de ces structures, d’une volonté de marginalisation/contournement, voire de domination absolue.
Racisme et autoritarisme
Ces phénomènes s’articulent avec une offensive raciste tous azimuts, qui s’est notamment concrétisée autour de la loi « séparatisme » – et des débats qui l’ont accompagnée. Racisme et autoritarisme sont les deux faces d’une même politique liberticide dont l’objectif est de faire taire toute critique de leur « ordre républicain » et de leur faillite dans la gestion de la crise sanitaire et sociale. La construction d’une figure de « l’ennemi de l’intérieur » est ainsi le complément indispensable de la restriction des libertés publiques : la récente séquence autour de « l’islamo-gauchisme » a été une démonstration éclatante des liens indissociables entre ces deux dimensions de la politique macronienne.
Au total, le cours autoritaire-raciste du pouvoir, loin de se réduire à une accumulation de lois liberticides et stigmatisantes, trouve donc ses racines dans la crise multidimensionnelle du capitalisme et dans la crise de domination des forces bourgeoises traditionnelles. La montée des organisations et des idées d’extrême droite participe de cette crise : lutter contre l’extrême droite et ses idées, c’est en effet tout à la fois lutter spécifiquement contre le RN et les groupuscules fascistes, lutter contre les politiques autoritaires, racistes et antisociales du gouvernement, et faire vivre la perspective d’une véritable alternative politique qui ne se fixe pas comme horizon le replâtrage du système mais son renversement.