Entretien. Profitons de ce dernier numéro avant la coupure estivale pour donner la parole à Philippe Poutou. Comment le NPA et son candidat vont-ils tracer leur sillon dans la campagne présidentielle ?
La campagne électorale s’est engagée dans un contexte particulier : les attentats à répétition, la guerre, l’état d’urgence à rallonge… avec une propagande incessante du gouvernement. Comment faire pour essayer de casser le consensus nationaliste ?
Il y a quelques semaines à peine, nous étions en pleine mobilisation sociale contre la loi travail qui elle-même faisait suite à une longue période pénible dominée par les attentats de 2015, le début de l’état d’urgence, la répression contre les militants écologistes et les salariés en lutte (Air France, Goodyear...), etc. Nous revoilà donc dans une situation lourde de dangers.
Comment faire pour changer la donne ? C’est évidemment très difficile. Nous n’avons le choix que de nous battre pour nous faire entendre, nous, avec nos idées contestataires, anticapitalistes. Faire entendre une voix contre le nationalisme ambiant, la bêtise chauvine et réactionnaire, convaincre que les réponses sécuritaires ne sont sûrement pas des solutions, et qu’il faut au contraire une réponse internationaliste contre les guerres impérialistes, contre les ventes d’armes, pour le soutien aux peuples du Proche et du Moyen-Orient, pour l’ouverture des frontières et la liberté de circulation... Pour une réponse sociale et solidaire, car combattre le chômage, la précarité, c’est fondamental, et défendre l’égalité des droits pour toutes et tous, combattre le racisme et tous les préjugés, c’est tout aussi fondamental.
Sous la présidence de Hollande, les inégalités et la pauvreté se sont amplifiées. Quels seront les aspects essentiels de la campagne du NPA sur ces points ?
La politique de Hollande, c’est celle de tous les gouvernements précédents, c’est celle des gouvernements partout en Europe, au service des possédants, des banquiers, des capitalistes. Les richesses sont accaparées par la poignée qui dirige le monde, elles sont volées à la grande majorité des populations.
La réponse, c’est la réappropriation des richesses, et cela passe par la reconstruction des services publics, une santé accessible et gratuite pour tous, des transports publics gratuits, un monopole public de l’énergie, un système bancaire socialisé mis au service de la population. La répartition des richesses, cela passe aussi par l’interdiction de licencier, par des embauches massives pour tout ce qui est utile à la population, par une réduction du temps de travail et une retraite à 60 ans, pour répartir le travail entre toutes et tous. Les grands projets inutiles et destructeurs doivent être annulés, on doit engager la sortie du nucléaire, les multinationales ne doivent pas pouvoir détruire l’environnement pour leurs profits
Un tel programme est en rupture avec les lois du marché, de la rentabilité, de la rapacité des possédants. Il y a l’idée du contrôle économique par la population, mais il y a aussi évidemment la question du pouvoir politique, un pouvoir que nous ne voulons pas personnel ou pour un parti, même comme le nôtre... Non la question du pouvoir se pose collectivement, à l’échelle de notre camp social : il faut une démocratie réelle, par en bas, avec une population qui discute et décide de ce qui est nécessaire, utile pour la grande majorité.
Dans un sondage publié le 19 juillet, 71 % des Français se déclarent mécontents de la loi El Khomri et 55 % jugent que les syndicats ont raison de vouloir poursuivre la mobilisation à la rentrée. Il y a eu la mobilisation syndicale, mais aussi Nuit debout, les comités de mobilisation…Comment peut-on en voir les suites ?
Tous les ans, on espère une rentrée chaude, on se dit que ça va bien finir par péter dans la rue. Pour cette fois, on a toutes les raisons de penser qu’il peut se passer quelque chose. Les 4 mois de mobilisations contre la loi travail vont laisser des traces, et pour un bon moment. Certes, l’arrêt des manifestations cet été, le vote définitif de la loi, le gouvernement qui pérore, tout cela n’augure peut être rien de bon et pourtant... La colère reste bien là contre ce gouvernement, contre le patronat, contre cette société profondément injuste.
La mobilisation a été longue et surtout profonde. Cela n’est pas comparable à la défaite du mouvement des retraites en 2010 qui s’était traduite par une profonde démoralisation du milieu militant. Avec la lutte contre la loi travail, on revenait de loin, de plusieurs années sans mouvement national. Nous avons renoué avec la mobilisation, nous avons vécu une réelle convergence de différents milieux et secteurs, avec des jeunes, lycéens, étudiants et précaires, avec les intermittents, les syndicalistes, avec le phénomène « Nuit debout ». Les idées de la lutte ont été remises au goût du jour. Grâce aux grèves des cheminots, des éboueurs, du secteur aérien, la classe ouvrière a montré qu’elle existait bien, qu’elle avait les moyen de « bloquer » l’économie, que le camp des exploités pouvait se défendre, riposter, contester le pouvoir et l’ordre établi. Et on a vu en face un gouvernement, un pouvoir qui a utilisé tous les moyens en sa possession pour étouffer la contestation, par le 49.3 ou par la violence de la répression.
Malgré tous les pièges, toutes les faiblesses – et parmi elles les hésitations de l’intersyndicale – le mouvement s’est construit, s’est renforcé, il a tenu. Il n’y a pas la victoire au bout mais le gouvernement a véritablement chancelé. Et surtout, des collectifs militants se sont construits, regroupant des secteurs militants divers, conscients du lien qu’il y a à faire entre les batailles sociales, environnementales ou antiracistes, comme dans la solidarité avec les migrantEs. Un mouvement de « gauche », profond, qui laisse donc espérer une suite à la rentrée.
À gauche du PS, ça s’agite beaucoup. Certains parlent de primaires, Mélenchon se lance seul sans ses anciens alliés du Front de gauche, Lutte ouvrière développe l’actualité du communisme... Le NPA y va aussi. Que vise le NPA à travers cette campagne, sept ans après sa création ?
Oui, d’une certaine manière, on prend les mêmes et on recommence. Oui il y aura plusieurs candidatures à ce qu’on appelle la gauche de la gauche. Oui il y a une sorte de concurrence. Mais ce que nous pouvons regretter comme étant une « division » de notre camp, car nous avons des points communs et nous nous retrouvons régulièrement dans de nombreuses luttes, est aussi le reflet des désaccords réels, des désaccords d’orientations ou dans les solutions politiques préconisées par chacun.
Pour ce qui nous concerne, le NPA défend l’idée que la solution n’est pas dans les urnes, pas dans le cadre des institutions. La question de l’unité, nous la posons avant tout au niveau des luttes sociales. Nous affirmons avoir besoin de construire un outil politique, un cadre qui regroupe les militantEs de divers horizons, convaincus que nous devons prendre nos affaires en main, faire de la politique nous-mêmes, compter sur nos propres forces, c’est-à-dire construire un « parti », une organisation, qui soit la nôtre, celle des exploitéEs, des oppriméEs. Un parti à la fois radical, défendant la rupture avec le capitalisme et en même temps unitaire, ouvert, cherchant à regrouper, à rassembler, à faire converger les batailles.
Et puis nous sommes convaincus que les luttes sociales pour les services publics, pour l’emploi, pour le partage des richesses, sont importantes, comme le sont aussi les luttes écologiques contre les projets néfastes des capitalistes, pour la démocratie directe, tout comme les luttes antiracistes et internationalistes.
Enfin, parlons signatures. Le PS a fait passer une loi qui complique les choses. En même temps, les camarades qui vont voir les maires sentent chez certains une nouvelle écoute de leur part, plus politique. Comment le NPA va-t-il prendre en compte cet aspect qui peut aider à franchir l’obstacle des 500 signatures ?
C’est certain, le PS a durci la loi électorale, et cela est fait pour nous compliquer la vie. Mais une fois qu’on a dit ça, pour le reste, cela dépend de nous – et c’est largement possible –, de notre capacité à faire ce travail qui est énorme. Cela exige une disponibilité, une énergie de la part des camarades pour faire les milliers de kilomètres qui sont nécessaires pour rencontrer les maires des petites communes. Il nous faut trouver les arguments pour convaincre de notre légitimité à être présents à la présidentielle, que nous représentons bien un courant d’idées utile au débat public, une façon originale de faire de la politique, non professionnelle... Il nous faut convaincre qu’il est urgent que s’exprime une perspective anticapitaliste, une voix qui défende la remise en cause de la société, l’espoir que l’on peut changer les choses. Et bien sûr, comme dans l’ensemble de la population, il y a des élus, des maires qui partagent au moins en partie nos idées, qui sont sensibles à ce que nous disons et représentons. À nous de les trouver !
Propos recueillis par Henri Wilno