Après ses études de médecine et de psychiatrie à Lyon, Fanon devient interne à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère), où le médecin-directeur est François Tosquelles. Psychiatre catalan, combattant dans les milices du POUM lors de la guerre civile espagnole, Tosquelles y a introduit des pratiques psychiatriques novatrices, avant de devoir se réfugier en France.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’hôpital de Saint-Alban devient un lieu de résistance à l’occupation allemande, tout en expérimentant de nouvelles pratiques d’analyse institutionnelle. L’hôpital se distingue par la participation des patients à la réflexion sur l’institution et à sa transformation, en rupture avec la psychiatrie asilaire et l’enfermement. C’est là que se forgent les courants qui inspireront la psychiatrie progressiste après la guerre.
Comme l’écrit Fanon, à Saint-Alban, « il ne s’agit pas de museler la folie, mais de la questionner, de l’écouter, pour favoriser une reconstruction. L’hypothèse suppose le vivre-ensemble d’êtres humains — fous et pas fous, soignants et pensionnaires — pour construire dans l’institution même des dispositifs, des scènes, afin que se rejoue, se représente ce qui a été mal joué, ou même pas pu être joué. »
Ces idées inspireront la pratique de Fanon lorsqu’il devient chef de service à l’hôpital de Blida-Joinville en Algérie en 1953. Dans une institution marquée par le contexte colonial et raciste, Fanon se bat pour mettre en œuvre ces principes. Les malades « musulmans », dont la « dangerosité » est mise en avant, y sont traités à part des « Européens », d’une manière encore plus répressive, discriminatoire et inhumaine. La plupart passent leur temps attachés, camisolés ou ceinturés.
Fanon face aux résistances du système colonial
Fanon, malgré de fortes résistances, parvient à détacher les internés et met en place des activités de « sociothérapie ». Cependant, il constate que les patients algériens n’y adhèrent pas, faute d’une prise en compte des conditions sociales permettant de « réconcilier le malade avec son environnement social ». Il comprend alors que le rôle des infirmiers algériens, qui parlent la langue des patients et partagent leur culture, est décisif. « C’était aux infirmiers algériens de suggérer les formes de sociabilité spécifiques et de les intégrer dans le processus de “social-thérapie” », explique-t-il. « La psychiatrie doit être politique. »
Il adapte son projet en ouvrant un « café Maure », en faisant construire un stade avec la participation des malades, et en réaménageant la mosquée où un patient, ancien imam, officie. La publication d’un journal permet aux malades de s’exprimer. Des spectacles sont organisés, réunissant patients et personnes extérieures.
L’opposition du pouvoir colonial et l’expulsion de Fanon
Cependant, l’hostilité « en haut lieu » à ces pratiques nouvelles, combinée au soutien de Fanon à la lutte anticoloniale, le place dans une position de plus en plus intenable. Il démissionne de ses fonctions à la fin de 1956 et est immédiatement expulsé d’Algérie.