L’auteur, membre du NPA à Pantin et de la commission nationale Moyen-Orient, synthétise ici les ressorts historiques et politiques de la lutte de libération du peuple palestinien.
1. Le développement du sionisme : du congrès de Bâle à la naissance d’Israël
Le 1er congrès sioniste se réunit en août 1897, à Bâle. Il consacre la transformation en mouvement politique d’un courant idéologique né en Europe au cours de la seconde moitié du 19e siècle. Face au développement de l’antisémitisme, les sionistes postulent l’impossibilité d’une coexistence entre Juifs et nations européennes, et préconisent en conséquence la création d’un Etat juif. Ce courant est très minoritaire chez les Juifs, beaucoup plus attirés par les organisations ouvrières, tel le parti Bund qui regroupe en Europe orientale des centaines de milliers de militants juifs se revendiquant du socialisme.
Les résolutions du congrès de Bâle déterminent les objectifs du mouvement sioniste. Le but est « d’assurer au peuple juif un foyer en Palestine garanti par le droit public ». Pour y parvenir, les délégués recommandent « l’encouragement systématique à la colonisation de la Palestine » et « des démarches (…) afin d’obtenir des gouvernements le consentement nécessaire pour atteindre le but du sionisme ».
Ces deux recommandations annoncent deux contradictions qui structureront, et structurent encore, le conflit entre Israël et le peuple palestinien. La 1ère est la contradiction entre la volonté de créer un Etat juif en Palestine et la présence d’un peuple sur cette terre (il n’y a que 5 % de Juifs en Palestine en 1900). La seconde est la contradiction entre la rhétorique émancipatrice du sionisme et sa communauté d’intérêts avec les pays impérialistes.
Le projet sioniste est un projet colonial qui suscite la désapprobation des autochtones. Il a donc besoin de l’appui des puissances qui dominent la région, notamment de la Grande-Bretagne qui exerce un mandat sur la Palestine après la Première Guerre mondiale. Ce soutien est affirmé en novembre 1917 par le ministre britannique des Affaires étrangères, Lord Balfour, qui déclare que « le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ».
Les Britanniques ont été convaincus par les garanties données par Chaïm Weizmann, dirigeant sioniste résidant à Manchester. Il a repris l’argument de Theodor Herzl, considéré comme le père fondateur du sionisme, qui écrivait que l’Etat juif serait « l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie ». Le premier gouverneur britannique de Jérusalem déclare au début des années 1920 que l’Etat juif sera « un petit Ulster juif loyaliste dans un océan d’arabisme potentiellement hostile ».
Forte de ce soutien, la colonisation s’accélère dans les années 1920 et 1930. L’allégeance sioniste aux intérêts impérialistes se concrétise en 1936 : lors du premier soulèvement des Palestiniens contre la colonisation juive et la tutelle britannique, les milices sionistes épaulent l’armée britannique pour écraser une révolte qui menace de prendre une tournure régionale.
La Deuxième Guerre mondiale et le génocide confèrent une légitimité nouvelle au sionisme. De plus, les grandes puissances voient plutôt d’un bon œil la création d’un Etat allié au cœur d’une région fortement déstabilisée par le développement des mouvements anti-coloniaux. En novembre 1947, l’ONU décide d’un partage de la Palestine entre un Etat juif (54 % du territoire) et un Etat arabe (46 %).
Les Juifs ne représentent alors qu’un tiers de la population. Les dirigeants sionistes vont tout mettre en œuvre pour étendre la superficie de l’Etat juif et pour en expulser les non-Juifs : la colonisation n’ayant pas suffi, il faut en passer par le nettoyage ethnique. Lorsqu’en mai 1948 Israël proclame son indépendance, qui déclenche la première guerre israélo-arabe, 400 000 Palestiniens ont déjà été chassés. A l’armistice en1949, Israël a conquis 78 % de la Palestine et 800 000 Palestiniens sont réfugiés.
2. La montée du nationalisme palestinien : de la création de l’OLP à l’Intifada
Il faudra attendre près de deux décennies après la création de l’Etat d’Israël pour que les Palestiniens puissent se doter d’une représentation nationale propre et que leur sort ne demeure plus entre les mains des seuls Etats arabes. Après l’armistice de 1949, la Cisjordanie est annexée par la Jordanie tandis que Gaza est sous contrôle de l’Egypte. Ces deux Etats empêchent l’émergence d’une direction palestinienne autonome et instrumentalisent la cause palestinienne dans le cadre des rivalités interarabes.
C’est dans ce contexte qu’est fondée en 1964 l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), une création des Etats arabes, et non un organe dont se seraient dotés les Palestiniens. La charte de l’OLP précise par exemple que l’organisation n’exerce aucune souveraineté sur la Cisjordanie et Gaza. Le nationalisme arabe et le panarabisme sont à leur apogée, et la question palestinienne est pensée dans le seul cadre de la question arabe.
Dès 1959, des Palestiniens exilés au Koweït créent le Mouvement national palestinien de libération (Fatah). Yasser Arafat, Farouk Kaddumi, Khalil al-Wazir (Abu Jihad) et Salah Khalaf (Abu Iyad) dénoncent la passivité des régimes arabes et revendiquent la « palestinisation » de la lutte. Le Fatah se développe notamment dans les camps de réfugiés de l’extérieur et à Gaza, et décide en 1965 de se lancer dans des actions armées contre Israël.
L’écrasante victoire d’Israël lors de la « Guerre des 6 jours » en juin 1967 porte un coup fatal au nationalisme arabe et renforce la crédibilité et l’audience du Fatah. Le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP, d’inspiration marxiste, partisan de la lutte armée) est créé en 1967 suite à une scission du Mouvement Nationaliste Arabe (MNA). En mars 1968, le Fatah tient tête à l’armée israélienne à Karameh, en Jordanie, et voit son prestige s’accroître. Au tournant des années 1968-1969, les organisations de guérilla, Fatah en tête, prennent le contrôle de l’OLP et Arafat en est élu Secrétaire Général.
La cause palestinienne suscite l’adhésion des populations arabes et stimule la contestation des régimes en place, y compris sur les questions sociales et démocratiques. En 1970-1971, l’OLP est chassée d’une Jordanie menacée de déstabilisation et s’installe au Liban. Parallèlement le mouvement nationaliste se développe dans les territoires occupés. Une génération militante y émerge durant les années 1970 et 1980, qui revendique une relative autonomie vis-à-vis de la direction extérieure de l’OLP, tout en reconnaissant sa légitimité. Les factions de gauche (Parti communiste, FPLP et FDLP, scission du précédent) sont proportionnellement plus fortes dans les territoires occupés que dans l’OLP.
Dès les années 1970, la direction Arafat s’est résolue à une solution négociée et tente d’acquérir une légitimité sur la scène internationale. Le mouvement se bureaucratise et développe au Liban un appareil de plusieurs milliers de membres que certains considèrent comme un « Etat dans l’Etat ». La direction de l’OLP revendique le monopole de la représentation, refusant de laisser trop d’autonomie à des cadres de l’intérieur plus radicalisés par le combat quotidien contre l’occupation.
La combinaison du développement du nationalisme dans les territoires palestiniens et de la violence de l’occupation israélienne débouche, en décembre 1987, sur une explosion en Cisjordanie et à Gaza : l’Intifada. Toutes les catégories de la population sont impliquées dans un soulèvement qui n’a pas été initié par la direction de l’OLP. Les cadres de l’intérieur participent à la mise en place de structures d’auto-organisation de la lutte, comme le Commandement national unifié (CNU), direction légitime et reconnue de l’Intifada. L’ensemble des courants politiques, y compris les factions islamiques (Hamas et Jihad islamique), en pleine expansion dans les années 1980, participent à l’organisation de l’Intifada.
Manifestations de masse, grève des impôts, mouvements de prisonniers… La résistance est multiforme, populaire, et remet la question palestinienne au cœur des débats internationaux. A l’été 1988, le Roi de Jordanie renonce à toute souveraineté sur la rive ouest du Jourdain. En novembre 1988, lors du Conseil national palestinien d’Alger, l’OLP proclame l’Etat indépendant de Palestine, reconnaît officiellement Israël et exige la tenue d’une conférence internationale. S’appuyant sur un soulèvement qui s’essouffle peu à peu et qu’elle contrôle de plus en plus étroitement, la direction de l’OLP se place comme l’interlocuteur incontournable de toute négociation. Tandis que l’Intifada s’éteint au début des années 1990, confrontée à la répression et à l’isolement international, la direction Arafat se consacre exclusivement à la diplomatie.
3. Le piège d’Oslo et du « processus de paix »
Après la chute de l’URSS, les Etats-Unis, seule superpuissance, entendent imposer un « nouvel ordre mondial », qui implique un « nouveau Moyen-Orient ». Il s’agit de démontrer l’hégémonie militaire états-unienne (guerre d’Iraq) et son hégémonie diplomatique, via un règlement, au moins en apparence, de la question palestinienne. Les Etats-Unis forcent Israël, chantage financier à l’appui, à négocier.
La direction de l’OLP, très affaiblie par le soutien d’Arafat à Saddam Hussein, n’est pas invitée aux négociations qui s’ouvrent en octobre 1991 à Madrid. Les membres de l’OLP qui y participent viennent des territoires occupés. Des contacts secrets sont néanmoins établis entre des proches d’Arafat et des dirigeants israéliens : un second canal de négociations se met en place à Oslo. Le faible niveau d’exigence des négociateurs d’Arafat tranche avec la fermeté des Palestiniens de l’intérieur, ce qui convainc Israël de choisir le canal d’Oslo.
Israël estime que la direction Arafat est suffisamment affaiblie mais encore assez légitime pour faire accepter Oslo à la population. Depuis 1967 et l’occupation de toute la Palestine, Israël est confronté à une difficulté car les Palestiniens sont restés et donc sous sa responsabilité : comment préserver simultanément le caractère juif et les prétentions démocratiques d’Israël ? Les Accords d’Oslo, officialisés en septembre 1993, tentent de répondre à ce problème : maintien de l’emprise israélienne sur l’essentiel de la Palestine tout en accordant « l’autonomie » aux zones les plus peuplées. L’autorité palestinienne (AP) est créée pour administrer ces zones.
L’armée évacue les villes et les camps (« zones A », moins de 20 % de la Cisjordanie et de Gaza) et garde le contrôle du reste des territoires occupés depuis 1967 (« zones B et C », plus de 80%). Le nombre de colons double entre 1993 et 2000, tandis que l’AP joue essentiellement un rôle de coopération économique et sécuritaire avec Israël. A l’été 2000, le Premier Ministre Barak propose un règlement définitif : fragmentation de la Cisjordanie, domination israélienne sur Jérusalem et négation du droit au retour des réfugiés.
Arafat refuse ce plan, conscient qu’il sera rejeté par la population. En septembre 2000, les Palestiniens se soulèvent, exprimant leur colère contre la poursuite de l’occupation et leur défiance vis-à-vis des négociations. La répression est féroce. Arafat, qui a encouragé le soulèvement en espérant se renforcer dans les négociations, est déclaré persona non grata par Bush et Sharon, qui exigent des réformes de l’AP pour donner du poids à des individus plus fiables, tels que Mahmoud Abbas.
Après la mort d’Arafat et l’avènement d’Abbas (2005), Israël et les Etats-Unis imposent des élections législatives à l’AP, pour faire émerger un gouvernement prêt à signer une reddition définitive. Mais la population choisit le Hamas, qui s’est développé dans les années 1990 et 2000 en alliant critique d’Oslo, soutien matériel aux populations et poursuite de la lutte. Un vote politique et non religieux, pour l’organisation qui incarnait le mieux, aux yeux de la population, la résistance et le refus des compromissions.
Depuis, Israël et ses alliés font payer à la population son vote et essaient de neutraliser le Hamas : boycott diplomatique et économique, tentative de renversement du gouvernement en juin 2007, offensives militaires contre Gaza, arrestations de dirigeants et militants du Hamas avec la complicité de l’AP. La récente offensive contre Gaza n’est que le dernier avatar de cette politique.
Telle est la logique du « processus de paix » : la « paix » se fera aux conditions d’Israël, l’interlocuteur palestinien devra capituler ou sera liquidé. L’« autonomie palestinienne » n’était que la poursuite de l’occupation par d’autres moyens. En Palestine, nombre de voix s’élèvent aujourd’hui pour affirmer que l’heure est à la réflexion sur les formes de la lutte et à la reconstruction de la résistance.
Chronologie succincte :
Août 1897 : Premier congrès sioniste.
Novembre 1917 : Déclaration Balfour.
Juillet 1922 : Début du mandat britannique sur la Palestine.
1936-1939 : Premier soulèvement palestinien contre la colonisation et la tutelle britannique.
29 novembre 1947 : Résolution 181 de l’ONU qui consacre le partage de la Palestine.
14 mai 1948 : Déclaration d’indépendance d’Israël, début de la première guerre israélo-arabe.
11 décembre 1948 : Résolution 194 de l’ONU qui affirme « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés [palestiniens] qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible (…) »
Juillet 1949 : Fin de la guerre. Israël occupe 78 % de la Palestine. Aucun réfugié n’est rentré.
Mai 1964 : Création de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Juin 1967 : Guerre des 6 jours. Israël quadruple sa superficie et contrôle toute la Palestine.
Septembre 1970 : « Septembre noir » : l’armée jordanienne massacre des milliers de combattants palestiniens dans les camps de Jordanie.
Juin 1982 : Début de l’invasion israélienne du Liban, qui contraindra l’OLP à fuir en Tunisie.
16-17 septembre 1982 : massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, au Liban. Les milices chrétiennes alliées d’Israël assassinent 3 000 Palestiniens.
9 décembre 1987 : Début de la première Intifada.
13 septembre 1993 : Signature, à Washington, de la « Déclaration de principes », qui débouchera sur les Accords d’Oslo.
29 septembre 2000 : Début de la « Deuxième Intifada ».
11 novembre 2004 : Mort de Yasser Arafat.
Janvier 2005 : Election de Mahmoud Abbas (Abu Mazen) à la présidence de l’autorité palestinienne.
Janvier 2006 : Victoire du Hamas aux élections législatives.
Juin 2007 : Tentative de renversement du Hamas à Gaza.
Décembre 2008-janvier 2009 : Opération « Plomb durci » contre Gaza. 1 300 morts et 5 000 blessés.
Bibliographie indicative :
Weinstock, Nathan, Le sionisme contre Israël (Maspero, épuisé)
Pappé, Ilan, Le nettoyage ethnique de la Palestine (Fayard)
Reinhardt, Tanya, Détruire la Palestine (2 volumes) (La Fabrique)
Warschawski, Michel, Israël-Palestine : le défi binational (Textuel)
Achcar, Gilbert, L’Orient incandescent (Page Deux)
Bucaille, Laetitia, Gaza, La violence de la Paix (Presses de Science Po)
Selfa, Lance (dir.), Le combat pour la Palestine (Parangon)
Bertolino, Jean, Les orangers de Jaffa (Presse de la Renaissance)
Khoury, Elias, La porte du soleil (Actes Sud)
Films :
Les citronniers (Eran Riklis)
The Iron Wall (Mohammed Alatar)
Les enfants d’Arna (Juliano Mer Khamis)
Sites internet :
www.france-palestine.org
www.ujfp.org
www.europalestine.com
www.ism-france.org/news
juliensalingue.over-blog.com
www.electronicintifada.n… (en anglais)