Publié le Samedi 7 décembre 2019 à 08h49.

Israël : mis en examen, Netanyahou joue l’épreuve de force

Deux ans d’enquête, des dizaines d’auditions de témoins, des milliers de pages de dossier, trois affaires distinctes : le couperet est finalement tombé, le 21 novembre, avec l’annonce de la mise en examen de Benyamin Netanyahou pour « abus de confiance », « corruption » et « fraude ». Mais, le Premier ministre israélien a décidé de jouer l’épreuve de force, quitte à précipiter encore un peu plus le pays dans la crise politique.

« Un Premier ministre qui est enfoncé jusqu’au cou dans des affaires n’a ni le mandat moral, ni le mandat public pour prendre des décisions concernant la destinée de l’État d’Israël ». Ainsi s’exprimait un certain Benyamin Netanyahou, en 2008, lorsque son prédécesseur Ehud Olmert était sous le feu de l’actualité en raison de soupçons de corruption. Onze ans plus tard, celui qui occupe le poste de Premier ministre de l’État d’Israël depuis mars 2009 n’a pas l’intention, en bon politicien accroché au pouvoir, de s’appliquer les préceptes qu’il énonce à propos des autres. Bien au contraire, il a fait le choix de la contre-attaque, en refusant obstinément de démissionner et en se posant en victime d’une machination. 

 

« Coup d’État »

Dans ses premières déclarations consécutives à l’annonce de sa triple inculpation, Netanyahou n’y est en effet pas allé de main morte, dénonçant un « coup d’État », appelant à « enquêter sur les enquêteurs », et déclarant à propos de ces derniers : « Ils n’ont pas cherché la vérité, ils m’ont cherché moi ! On a fait pression sur les témoins pour qu’ils disent ce que les enquêteurs voulaient entendre ! » Les dossiers sont pourtant conséquents, et c’est ce qui inquiète le Premier ministre en exercice. Dans le « dossier 1000 », ce sont les « cadeaux » reçus par Netanyahou de la part de deux milliardaires (champagne, cigares, etc.), en échange de divers services, qui sont montrés du doigt. Le « dossier 2000 » concerne, comme le rappelle Libération (21 novembre), « la tentative de “Bibi” de s’octroyer les faveurs du patron de presse Arnon Mozes, propriétaire du puissant Yedioth Ahronoth, en échange d’une loi limitant le tirage de son principal concurrent, le gratuit Israel Hayom. » Dans le « dossier 4000 », le plus lourd des trois, Netanyahou est accusé d’avoir usé de ses fonctions pour accorder cadeaux et largesses au patron de la société de télécoms Bezeq, Shaul Elovich, ce dernier lui offrant, en retour une couverture médiatique favorable. On parle ici notamment de facilités accordées dans le cadre d’une fusion avec un autre groupe, Yes, alors que Netanyahou était non seulement Premier ministre mais aussi ministre… des Télécommunications.

 

Va-t-il quitter le pouvoir ?

Au total donc, des charges d’« abus de confiance », de « corruption » et de « fraude », qui font en outre suite à de précédentes enquêtes, dont une au terme de laquelle c’est l’épouse de Benyamin Netanyahou, Sara, qui avait été condamnée pour une affaire de « frais de bouche » estimés à 340 000 shekels (85 000 euros), facturés aux contribuables israéliens. Avec donc la possibilité d’une condamnation substantielle pour Netanyahou : on se souviendra ainsi qu’Ehud Olmert avait été condamné en première instance à six ans de prison ferme pour avoir reçu un pot-de-vin de 60 000 shekels (15 000 euros), condamnation ramenée à 18 mois ferme en appel. Le fils d’Ariel Sharon, Omri, avait quant à lui été condamné à neuf mois de prison ferme pour financement illégal du Likoud. Les risques de condamnation sont donc importants, ce qui explique pourquoi Netanyahou s’accroche tant au pouvoir. Et si certains observateurs estiment qu’il s’agit pour lui de construire un rapport de forces pour négocier sa sortie de la vie politique en échange d’une peine légère, force est de constater qu’il ne recule aujourd’hui devant rien pour justifier sa non-démission, quitte à approfondir encore un peu plus la crise politique en Israël, où les deux élections législatives anticipées qui se sont tenues en l’espace de quelques mois n’ont pas permis de constituer de majorité. Netanyahou va-t-il quitter le pouvoir ? La chose est probable, mais une chose est toutefois certaine : ce n’est pas sa politique brutale à l’égard des PalestinienEs qui aura entraîné sa perte. Quelle que soit l’issue de la crise, ce ne sont pas les politiques d’apartheid qui seront remises en cause et, si l’on peut se réjouir de la chute de Netanyahou, rien de pourra remplacer la solidarité concrète avec les PalestinienEs, entre autres et notamment par la poursuite de la campagne BDS.

 

Julien salingue