Publié le Dimanche 20 avril 2025 à 13h00.

Palestine : « L’annonce de Macron ne s’accompagne d’aucune sanction politique, diplomatique, judiciaire qui puisse arrêter Israël dans sa guerre génocidaire »

Entretien. Après que Macron a annoncé le 10 avril son intention de reconnaître l’État de Palestine, l’Anticapitaliste a rencontré Monira Moon de BDS pour un décryptage en règle.

 

Macron a annoncé récemment qu’il pourrait signer en juin la reconnaissance par la France de l’État de Palestine, en l’inscrivant dans le discours de la paix et des deux États. On voit beaucoup de réactions positives à ces annonces. Partages-tu cet ­enthousiasme ?

Tout d’abord, il faut se poser la question du timing de cette annonce. Le 22 mai 2024, à l’ONU, 146 États ont reconnu l’État de Palestine. Ils ont été rejoints par 2 autres États au mois de juin de la même année : la Slovénie et l’Arménie. Au cœur du génocide, dans la dynamique d’une démarche internationale d’ensemble, une telle décision aurait été un signal significatif de la part d’une puissance occidentale, d’un État qui siège au Conseil de sécurité de l’ONU, d’un pays qui se revendique « pays des droits de l’Homme ». Mais la France s’est alors abstenue. Le Parlement français a pourtant adopté en 2014 cette reconnaissance, il ne manque depuis que la signature du président de la République pour que celle-ci soit effective. Aujourd’hui, Emmanuel Macron annonce, au conditionnel, qu’il « pourrait » reconnaître l’État de Palestine vers le mois de juin. Évidemment, je ne partage pas du tout l’enthousiasme général. On peut pointer l’inanité, l’hypocrisie, et même l’arnaque de cette annonce.

Pourquoi selon toi cette annonce est-elle complètement creuse ?

Cette reconnaissance serait purement symbolique, verbale. Cette annonce ne s’accompagne d’aucune mesure concrète, d’aucune sanction politique, diplomatique, judiciaire, rien qui puisse arrêter Israël dans sa guerre génocidaire. Je dis parfois, à moitié sous forme de plaisanterie, que la première chose que devrait faire la France pour aider les PalestinienNEs, c’est de ne rien faire. Ne rien faire serait déjà un gros progrès par rapport au soutien effectif, économique, militaire, politique, que la France apporte à la puissance occupante en Palestine.

Tu dis que cette annonce est ­également hypocrite ?

Ce discours s’inscrit dans le paradigme colonial habituel de la diplomatie française. Il ne s’agit pas tant de trouver des solutions justes, mais de répéter la formule creuse des deux États. On peut rappeler à cette occasion les mots ciselés de Éric Hazan et Eyal Sivan dans Un État commun entre le Jourdain et la mer : « la partition de la Palestine historique en deux États n’est pas une solution, mais un discours. C’est un discours de guerre drapé dans une rhétorique de paix, qui permet de justifier les faits accomplis comme ceux à venir. Ce discours si commode ne peut pas déboucher, ne débouchera jamais sur une solution véritable, car la partition de la Palestine n’est tout simplement pas possible. » 

Ce serait même carrément une arnaque ?

Macron se permet de conditionner cette reconnaissance de la Palestine par la France à la reconnaissance d’Israël par des pays arabes. Cette annonce n’en est pas une, c’est une proposition de troc, quasiment un chantage. Elle s’inscrit dans une logique du donnant-­donnant qui propose un échange inégal : la normalisation par les pays arabes de leurs relations avec Israël a des conséquences concrètes très négatives pour les PalestinienNEs, alors que la reconnaissance par la France n’a aucune espèce d’effet.

On peut comprendre que dans un contexte où le risque d’effacement très concret de la Palestine et des PalestinienNEs semble plus proche que jamais, beaucoup cherchent à se raccrocher à tout ce qui semble limiter cette disparition. La reconnaissance de l’État de Palestine peut sembler y contribuer. En réalité, une fois de plus, un piège est tendu aux PalestinienNEs. Une fois de plus, ils ne sont pas consultés. Tout ce qui est fait sans eux est fait contre eux.

Cette annonce ne montre-t-elle pas quand même que Macron est contraint à des actions, même symboliques, que la position de soutien inconditionnel a du plomb dans l’aile ?

On peut penser si on veut que cette annonce est le résultat d’un rapport de forces moral et politique qui oblige le pouvoir à des bougés symboliques. On peut comprendre avec cette lecture également le mini recul verbal de Yaël Braun-Pivet qui, après avoir fustigé pendant un an et demi toutes celles et ceux qui le refusaient, admet finalement aujourd’hui qu’affirmer « un soutien inconditionnel » à Israël n’était peut-être pas nécessaire. Mais, là encore, cela n’a aucun effet concret : le soutien est toujours là, et le retrait du mot « inconditionnel » n’y change rien. On n’a rien gagné avec ces annonces. On est face à un rideau de fumée.

Quelle doit être la réponse du mouvement de solidarité avec la Palestine à ces annonces de Macron ?

Il faut être le plus au clair possible que ce genre de propos ne doit rien changer à notre agenda, à nos revendications. Si le pouvoir en France voulait agir concrètement, nous lui avons fourni une feuille de route depuis longtemps. La France pourrait prendre des sanctions économiques et diplomatiques contre Israël. La France pourrait poursuivre les FrançaisEs qui commettent le crime de génocide en Palestine. La France pourrait décréter un embargo militaire contre Israël. La France pourrait empêcher Netanyahou de survoler son espace aérien puisqu’il y a un mandat d’arrêt international à son encontre. On connaît toute une série de mesures concrètes aux effets immédiats. La France pourrait prendre des décisions très impactantes mais elle ne fait rien de tout cela. C’est un choix, une façon de soutenir l’État colonial israélien bien plus réelle que toutes les paroles.

Quelles sont les tâches de la solidarité internationale aujourd’hui, et en particulier en France ?

Il n’y a que la mobilisation populaire qui puisse faire bouger le rapport de forces en faveur des PalestinienNEs. Et la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) est un formidable outil de pouvoir collectif par en bas. On a trop peu conscience de ses victoires, ce qui ne permet pas de prendre la mesure de sa puissance. Par exemple, dans le Sud global, le boycott prend des proportions très significatives, il a des effets importants, comme le retrait de Carrefour de plusieurs pays. Alors que Carrefour est une entreprise française, nous devrions être en capacité de donner une tout autre ampleur à la campagne de boycott. Signer l’appel BDS, c’est bien. Mais les organisations signataires de la campagne BDS ont la responsabilité d’impulser l’engagement réel de leurs militantEs dans les actions BDS.

Il y a un génocide. L’ensemble du mouvement de solidarité a la responsabilité de proposer des modalités à la hauteur de l’enjeu. Toutes les personnes qui n’en peuvent plus de voir les PalestinienNEs subir un génocide doivent pouvoir s’inscrire au plus près de chez elles dans des actions efficaces. Comme le dit souvent Salah Hamouri, la solidarité internationale est une composante à part entière de la résistance palestinienne. Vive la lutte du peuple palestinien ! Vive la solidarité internationale ! BDS, maintenant !

Propos recueillis par
Olivier Lek-Lafferrière