Les lois Duflot, nous dit-on, protégeront les locataires ? La belle affaire ! Belle affaire pour les propriétaires, s’entend. Décryptage.
Alors que la crise économique s’aggrave, avec chaque jour une nouvelle entreprise qui licencie, de nouvelles familles qui sont rejetées dans la précarité, la crise du logement sévit durablement en France : 3,6 millions de mal-logés et 1,3 million de familles en attente d'un logement
social.
Face à cette situation d'urgence, quel est le bilan de près de deux ans de gouvernement Hollande-Ayrault ? Catastrophique, et accompagné de l’usage des matraques contre les familles mal-logées et leurs défenseurs comme Jean-Baptiste Eyraud, du DAL (Droit au Logement), qui a été brutalisé à Paris le 19 octobre dernier, place de la République.
Réquisition des logements vides ?
« S'il est nécessaire, je ferai appel à l'ensemble des moyens disponibles, la réquisition fait partie de cette panoplie », déclarait Cécile Duflot le 27 octobre 2012. De même, on pouvait lire dans Le Monde du 29 novembre 2012 : « Des réquisitions de logements vides auront lieu d'ici à la fin de l'année, a annoncé jeudi la ministre du logement, Cécile Duflot, au cours d'une visite dans un centre d'hébergement d'urgence pour sans-abri à Paris, géré par l'association Emmaüs Solidarité ».
La ministre EELV Duflot a donc commencé son mandat en faisant de tonitruantes déclarations pour la réquisition des logements vides. Quatre régions où la crise du logement est particulièrement aiguë devaient être passées au crible pour débusquer les logements vacants : Ile-de-France, Provence-Alpes Côte d'Azur, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées.
Deux ans plus tard, on attend toujours. La ministre Duflot ne s'est pas appuyée sur l'ordonnance de 1945, jugée par elle pas assez solide juridiquement, mais sur la loi de lutte contre les exclusions de 1998 (gouvernement Jospin, ministre Gayssot). Mais les dispositions sur la réquisition de cette loi de 1998 sont en vérité inopérantes : elles ne concernent que les bâtiments vides depuis plus de 18 mois, détenus exclusivement par des propriétaires institutionnels, et surtout elles permettent au propriétaire d'échapper à la réquisition « s'il présente un projet d'utilisation de son immeuble ».
A ce jour, aucun bâtiment n'a encore été réquisitionné. Ce ne sont finalement qu'une cinquantaine de procédures qui seraient en cours : une petite dizaine en Ile-de-France, une dizaine en Midi-Pyrénées et une trentaine en PACA. Gageons qu'il n'y aura pas une seule réquisition puisque désormais les déclarations du cabinet de Duflot ont le mérite de la clarté : « L'objectif n'a jamais été la réquisition pour la réquisition. Le but, c'est que les propriétaires remettent sur le marché, le plus rapidement possible, un maximum de logements » (Libération, 11 décembre 2013).
La mesure favorise ainsi moins les sans-domicile… que le marché de l'immobilier et l'investissement locatif : les propriétaires sont incités à faire de l'argent en vendant leurs biens ou en les remettant sur le marché locatif. Cela tombe bien : la loi Duflot 1 est là pour rentabiliser ces opérations, et précisément dans les mêmes zones tendues, là où il y a la crise du logement.
« Avec la loi Duflot, je transforme mes impôts en patrimoine »
Réservé normalement aux logements neufs, ce dispositif de défiscalisation est en effet également applicable à l'ancien, moyennant d'importants travaux de rénovation. Il permet aux propriétaires aisés qui louent des logements d'être exonérés jusqu'à 6000 euros par an de leurs impôts, soit une réduction de 18 % du prix d'achat, cinq points de plus que la loi Scellier.
Néanmoins, compte-tenu de certaines dispositions jugées contraignantes (location pendant au moins 9 ans ; respect des plafonds de revenu du locataire et des plafonds des loyers), le site Capital.fr avait émis un bémol : « le rendement peut alors difficilement excéder 3 %, moins qu'une bonne assurance vie » ! Depuis, les décrets d'application de la loi, en introduisant un coefficient multiplicateur appliqué sur les plafonds de loyer, d'autant plus élevé que la surface du bien est petite, ont remis les placements dans le droit chemin : comme le conseille Capital.fr, « en achetant un studio (ou un petit deux-pièces), les loyers retournent dans la norme du marché » si bien que désormais, le taux de rendement peut avoisiner les 5,5 % à Brest, Lille, Toulouse, Châtillon, Montreuil, voire 7 % à Saint-Denis !
Le projet de loi Duflot 2
Cette loi dite ALUR (Accès au logement et à l’urbanisme rénové) est censée protéger les locataires et encadrer les loyers. En réalité, sous un amas de formules complexes, elle est la porte ouverte à un véritable risque de hausse très conséquente des loyers pour les locataires anciens dans leur logement et pour tous ceux dont le loyer était, avant le renouvellement du bail, inférieur au loyer médian dans une zone concernée.
Le projet de loi indique que les loyers ne pourront pas dépasser de plus de 20 % un loyer médian de référence, différent selon les types de logement. Bien sûr, tout dépend du calcul du montant de ce fameux loyer médian de référence, qui doit être déterminé par des observatoires locaux des loyers... à partir de l'existant ! Cela revient de fait non pas à baisser les loyers mais à entériner leurs hausses effrénées durant la dernière décennie, surtout dans des villes comme Paris (+ 100 %).
Et qu'attendre d'observatoires locaux des loyers dont on sait par avance qu'ils seront tout sauf indépendants et garants de l'intérêt des locataires ? En effet, selon le journal Le Monde du 10 décembre 2013, pour ce qui est des observatoires, la ministre juge « utile pour tous que les professionnels contribuent tant à leur alimentation qu'à leur gouvernance », ce dernier point étant une revendication forte de la FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier).
De plus, en rentrant dans le détail du texte, on se rend compte que de nombreuses exceptions permettent en fait aux propriétaires de déroger aux limitations des hausses : des travaux d'amélioration peuvent par exemple être en fait de simples travaux de mise en conformité avec les normes d'électricité ou autres. Loin de protéger les locataires, le projet de loi Duflot 2 durcit donc considérablement la situation des locataires en difficulté, se retrouvant au chômage ou devant faire face à la baisse de leur revenu.
A l'heure qu'il est, le Sénat a retoqué une des dispositions les plus graves qui consistait à infliger des pénalités aux locataires qui paient leur loyer en retard. Rien ne dit encore qu'en dernière lecture à l'Assemblée nationale, cette disposition ne sera pas finalement maintenue.
La GUL (garantie universelle des loyers)
La GUL, désormais financée à 100 % par l’État, n'étant finalement pas obligatoire, il y a fort à parier que le cautionnement restera la règle et donc, comme précédemment, à la seule charge du locataire. Cette mesure, censée permettre l'accès au logement pour tous, a elle aussi fait pschitt, comme la réquisition !
De toute façon, il n'y a rien à attendre de la GUL puisque, loin de garantir quoi que ce soit aux locataires, ce dispositif est en fait un moyen d'indemniser les impayés de loyer de l'ensemble des bailleurs du parc locatif privé. Afin, nous dit-on cyniquement, de couper court au « risque de déresponsabilisation des locataires », le recouvrement des impayés relèvera du Trésor public qui pourra, en dehors de tout jugement en tribunal, saisir salaires et revenus à la source par un simple avis à tiers détenteur.
Pour finir, un satisfecit accordé par la FNAIM !
Ce groupement d'agences immobilières estimait le 3 janvier 2014 que « la dernière version d'ALUR est satisfaisante ». Cela fait suite à un courrier de la ministre du 6 décembre 2013 adressé au président de la FNAIM, dans lequel elle proposait d'« engager une phase finale de discussion », y affirmant qu'elle souhaitait que l'intermédiation « prenne davantage d'ampleur », les agences immobilières n'étant partie prenante que d'un tiers des transactions de location ! Suite à ces rencontres, la FNAIM estime que « plusieurs des revendications que nous portions ont été entendues. Les discussions que nous avons eues, jusqu'à très tard avant le vote, avec les parlementaires, le cabinet de la ministre ou Cécile Duflot elle-même semblent avoir porté leurs fruits et nous ne pouvons que nous satisfaire des dernières modifications. »
Il y a de quoi : rétablissement de la caution, participation aux observatoires locaux d'encadrement des loyers, dispositions concernant les honoraires, etc. En effet, la première version de la loi limitait les frais d'agence réglés par le locataire à la seule moitié des frais de l'état des lieux et de rédaction du bail. La FNAIM se réjouit désormais que « le texte validé par la commission [des affaires économiques de l'Assemblée nationale] prévoit le partage entre le locataire et le propriétaire des prestations bénéficiant aux deux parties ». Comme par le passé, le locataire devra donc régler la moitié des frais d'agence, en réalité la quasi-totalité de ces frais, la plupart des propriétaires refusant de payer, demandant des remises commerciales ou des avoirs sur les honoraires de gestion.
Des mesures d’urgence
Cette loi se situe ainsi aux antipodes des premières mesures d’urgence qu’appelle la crise du logement, à savoir :
- le blocage total des loyers et des charges ;
- la réquisition des logements et bureaux vides (application de l'ordonnance de 1945) ;
- l'annulation pure et simple des dettes locatives des familles frappées par le chômage, la précarité, les bas salaires et la maladie, à l’image de ce qu’avait décrété la Commune de Paris en 1871 ;
- l'interdiction des expulsions de logement, toute l’année ;
- la construction des logements sociaux pour tous les mal-logés (« DALO » ou non) ;
- le relèvement conséquent du plafond de ressources des APL ;
- l’arrêt des démolitions de HLM et de la dégradation du parc existant.
Ces mesures qui protégeraient véritablement les locataires sont à l'opposé de celles mises en œuvre par le gouvernement, qui ne protège en réalité que les propriétaires.
Isabelle Foucher