Entretien. Pauline Perrenot est journaliste et co-animatrice à Acrimed (Action critique média), l’Observatoire des médias, né du mouvement social de 1995. Elle vient de publier « les Médias contre la gauche » aux Éditions Agone. Extrait de l’interview vidéo réalisée par l’Anticapitaliste où elle décrypte le traitement médiatique politique, notamment lors du mouvement contre la réforme des retraites.
Dans ton livre, tu décris avec plein d’arguments et d’exemples précis, comment la presse écrite, radio ou télévisuelle a contribué à mettre en selle Macron pour son élection en 2017…
C’était important pour Acrimed de revenir en 2017. Ça a été un moment assez édifiant et illustratif du point de vue des médias, de leur fonctionnement, de leurs mécanismes. Le livre s’ouvre sur 2017 et se clôt sur une autre élection qui est celle des élections législatives de 2022 et sur le traitement plus particulièrement réservé à la Nupes. Le processus d’accord ayant mené à la Nupes puis la campagne de la Nupes a été vraiment plus que décriée dans les médias dominants.
En 2017, les médias n’ont pas fait l’élection, pas plus que lors d’autres élections, mais ils ont contribué à placer le candidat Macron au centre, au cœur du débat public. Ils en ont fait le centre de gravité du débat public et ils ont crédibilisé sa candidature. Ils n’ont eu de cesse de le faire. En réalité, à partir de 2015, chaque opération de communication. Un article scientifique disait qu’il était mentionné dans 3 656 articles et 841 titres en 2015 et dans 2 744 articles et 623 titres pour le seul premier semestre 2016.Il a bénéficié évidemment des louanges de la quasi-totalité des chefferies éditoriales qui ont immédiatement vu dans le personnage l’incarnation de ce qu’elles appellent de leurs vœux : le grand réformateur, un logiciel libéral qui collait en tout point aux attendus éditocratiques. On ne peut pas déconnecter du tout ce battage médiatique des déclarations enamourées que lui ont adressé la quasi-totalité des propriétaires et des actionnaires de la grande presse. 2017, c’est quand même l’exemple vraiment le plus spectaculaire du sacrifice du pluralisme sur l’autel du vedettariat.
Est-ce que c’est la même chose en 2021-2022 ? On réitère à l’identique ou est-ce qu’il y a des mécanismes qui ont évolué ?
Macron n’était plus nouveau, mais il était toujours beaucoup aimé. On a titré « Bis repetita pour 2022 ». Un certain nombre, voire la plupart des éditorialistes et des professionnels du commentaire ont fait campagne directement pour Emmanuel Macron, comme Françoise Fressoz, éditorialiste de référence du quotidien le Monde. En fait, il a été très rapidement, à partir de février 2022, campé dans un rôle de chef de guerre. Et c’est vrai qu’on décline, que ce soit dans l’Obs, dans le Monde ou dans la presse quotidienne régionale, un certain nombre de papiers qui se contentaient de tricoter des éléments de langage, ce qui est devenu vraiment le propre du journalisme politique, c’est-à-dire un rétrécissement de la frontière, voire une explosion totale de la frontière entre communication et journalisme. Début mars, Macron décide de rédiger une lettre aux Français. Là, c’est une opération de communication littéralement orchestrée par la presse quotidienne régionale, puisqu’il y a un entretien avec les principaux directeurs. Il y a eu une dépolitisation de cette campagne au profit d’un truc très spectacularisé et très éditorialisé. Une relégation des discussions de fond.
C’est ce qui constitue que vous appelez le journalisme de cour. On a retrouvé les mêmes mécanismes en 2021 avec Zemmour…
Son moindre tweet, sa moindre vidéo était érigé en actualité politique, à traiter comme un événement. Que ce soit Zemmour ou Marine Le Pen par ailleurs, il ne faut jamais oublier Le Pen qui a bénéficié d’un traitement, là encore dépolitisé, pipolisé. Cette campagne a été complètement bipolarisée, et la gauche laissée complètement de côté. La dépendance des journalistes politiques aux sondages qui voient leur imaginaire complètement colonisé, alors même que dans le champ universitaire, cela fait des décennies que la manière dont se mènent les enquêtes d’opinion, est déconstruit de manière extrêmement précise. Je pense notamment à la petite musique selon laquelle Le Pen serait la grande gagnante de la séquence des retraites. Il y a un gros travail de déconstruction pour montrer à quel point ceci est une fiction en grande partie, qui s’appuie sur trois sondages, trois sondages.
Il y aussi l’absence de la gauche, des acteurs du mouvement social, d’un certain type de population, c’est-à-dire des travailleurEs. Donc, ce que tu décris comme le journalisme de cour, on voit que c’est également un journalisme de classe…
L’information sur les mobilisations des gueux rapporte moins que le petit théatre des puissants. Rappelons l’interview mémorable de Carlos Ghosn par Léa Salamé, dépêchée au Liban pour l’occasion, alors que par ailleurs, une partie des salariéEs étaient en grève contre la suppression de centaines de postes à Radio France et la veille une interview à charge, comme rarement on a pu en voir dans l’audiovisuel contre Philippe Martinez de la part de ces mêmes matinaliers, Salamé et Demorand. Doux avec les puissants et méprisants et agressifs avec les pauvres ou en tout cas avec les faibles. C’est vraiment la fable... Les aspects les plus conflictuels du monde du travail avec lesquels sont en prise les ouvrierEs ou les classes populaires sont passés sous silence et sont absents. Sur la question des accidents du travail on a l’exemple de Bouygues dont la condamnation définitive a été complètement ignorée par les médias alors que d’un point de vue strict de l’information, il y avait un enjeu important.
Ce sont des mécanismes à l’œuvre tout le temps, mais qui sont évidemment exacerbés lors des conflits sociaux, comme lors des grèves de la SNCF, des grèves contre la réforme des retraites de 2019…
En gros, 2019, c’était un engagement de la totalité des chefferies éditoriales en faveur de la contre-réforme. Justification politique de la réforme, économique, tout ce qui va dans le panel traditionnel de l’éditocratie. Et le pendant, c’était un dézingage systématique des opposantEs, qu’ils soient syndicalistes ou opposantEs de la gauche politique, associative, comme Besancenot, quand il est passé chez Bourdin. Marginalisation de l’opposition et dans le même temps, on a eu le journalisme de démobilisation classique. En 2022, c’est vrai qu’après le 19 janvier, les éditorialistes baissent d’un ton. Il y a une espèce de recalibrage. On a continué à retrouver les interrogatoires. On en a documenté un certain nombre sur Acrimed, très dépendants et très attentifs aux sondages qui ne cessaient de répéter que 90 % des actifs étaient opposéEs à la réforme. Au bout d’un moment, les rédactions se sont dit, on ne va pas trop les « défoncer », pour le dire vulgairement, ces gens qui sont dans la rue parce qu’ils sont notre public, quoi !
Tu évoques également le journalisme de préfecture…
En partant de l’exemple de Sainte-Soline, ce qui très frappant le 25 mars en suivant le traitement par BFM TV, c’est que le dispositif policier n’était pas questionné, a fortiori pas critiqué. Des journalistes reprennent, reprennent vraiment, le lexique de la police.
Propos recueillis par Manon Boltansky
Extrait de l’interview vidéo à voir et écouter sur : https://lanticapitaliste…