De réformes en plans d’austérité, la santé est l’objet d’une offensive depuis de nombreuses années. On connaît le problème des dépassements d’honoraires dans la médecine de ville ou celui des franchises en tout genre. Les inégalités d’accès à la santé ne sont pas seulement géographiques. Elles sont aussi sociales.
Alors qu’au début des années 2000, la signature de l’accord national entre la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et les gestionnaires des centres de santé semblait marquer une reconnaissance de la particularité et de l’utilité de ces structures par l’Etat et l’assurance maladie, celles-ci subissent la vague de libéralisme économique qui déferle sur le secteur de la santé. Cela entraîne une modification de leur fonctionnement, de leurs objectifs, ainsi qu’une évolution du type de médecine pratiquée en leur sein.
Dessine-moi un centre de santé
Si l’on se réfère aux différents textes qui les régissent, Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours. Ils assurent des activités de soins sans hébergement. Ils mènent des actions de santé publique, de prévention, d’éducation pour la santé, d’éducation thérapeutique des patients et des actions sociales. Ils pratiquent obligatoirement le tiers-payant et contribuent à la réduction des inégalités d’accès aux soins et à la santé.
Historiquement, des municipalités, des structures mutualistes, associatives, ont développé des centres de santé pour répondre aux besoins des populations et aux attentes des professionnels de santé à travers un autre mode de distribution des soins, garantissant un égal accès aux soins pour tous, dans le respect des tarifs de la sécurité sociale.
On voit bien ce qui différencie les 1800 centres de santé qu’on compte actuellement en France du secteur libéral : avec leurs missions d’accessibilité et d’accompagnement social d’une part, celles de prévention et de santé publique d’autre part, ils s’inscrivent en alternative à la pratique libérale. Or le financement de ces missions n’est pas pris en compte dans les honoraires des actes médicaux, dont la valeur est la même qu’en ville. Leur coût est financé par les seuls gestionnaires des centres. Il en est de même pour le temps de coordination médicale interdisciplinaire autour du patient et le temps d’animation des équipes.
Business plan ?
Parallèlement, les contraintes économiques se sont accentuées, les budgets des municipalités sont devenus de plus en plus serrés, remettant en cause les subventions d’équilibre des centres. La transposition de directives européennes datant de 1993 a entraîné une séparation, au sein des mutuelles, des budgets dédiés aux prestations qu’elles servent et de ceux réservés à leurs œuvres sociales, dont les centres de santé. Les excédents de cotisation des adhérents ne peuvent plus servir à équilibrer les budgets de fonctionnement de ces œuvres qui doivent se rapprocher au plus près d’un équilibre entre leurs dépenses et leurs recettes, c’est-à-dire les actes médicaux produits.
A la demande des gestionnaires, des cabinets de consultants sont alors entrés en scène et ont promu un nouveau modèle économique, y compris en prodiguant leurs conseils à certaines Agences régionales de santé (ARS), celle d’île-de-France par exemple, et à la Mutualité. Ce modèle détermine quelles sont les spécialités médicales les plus lucratives et établit des « ratios » entre les différentes disciplines, permettant d’aboutir à l’équilibre financier des structures. Il indique les coûts du passage d’un patient dans ces spécialités et surtout les recettes qu’il peut générer. Les professionnels de santé doivent être formés à utiliser « au mieux » la nomenclature des actes médicaux, et être rémunérés à l’activité et non plus à la fonction ou à la vacation. Il va ainsi instituer des méthodes de management qui n’ont rien à voir avec une médecine d’équipe mais mènent plutôt à une gestion « entrepreneuriale » de la médecine.
C’est ainsi que des centres, mutualistes notamment, vont voir disparaître un grand nombre de spécialités de leur offre de soins pour ne garder que des cabinets dentaires, d’ophtalmologie ou de médecine générale. Pour les patients, cela signifie des mois d’attente pour un rendez-vous dans un centre de santé qui a conservé des consultations dans des spécialités jugées peu rentables ou bien à l’hôpital, sinon, direction un cabinet libéral et le secteur II, avec des dépassements d’honoraires.
Mais que fait l’Etat pendant ce temps-là ?
Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de juillet 2013 met en valeur l’apport des centres de santé et pose le problème du financement de leurs missions spécifiques. Il propose vingt recommandations dans ce sens. Mais en échange de l’aide qui pourrait être apportée aux centres de santé en difficulté, il demande des contreparties importantes. Il voudrait que ces structures soient des « entités économiques à l’équilibre », et faire disparaître les barrières juridiques entre les centres de santé et les maisons médicales pluri-professionnelles, alors que celles-ci sont des regroupements de praticiens libéraux (qui reçoivent des aides afin de « repeupler les déserts médicaux »). Il prône aussi la mise sous tutelle par les ARS des centres de santé en difficulté financière… et les met donc à la merci de celles-ci quant à leur existence. Une vague de fond pousse tout le secteur de la santé vers le marché.
La loi du 27 janvier 2014, sur les réseaux de soins, a pour objet « de permettre aux mutuelles de jouer pleinement leur rôle de régulateur du secteur en leur donnant la possibilité d’être des acteurs de la négociation entre l’offre et la demande de soins ». Elle incite les adhérents de mutuelles à consulter des professionnels de santé ayant passé des conventions tarifaires avec ces organismes.
La future loi de santé, elle, donne une place prédominante au secteur privé sur le secteur public.
Dans cette loi, le terme de service public de santé disparaît d’ailleurs au profit de celui de service au public. Cette évolution vers une santé répondant à un modèle économique dominé par le marché et la rentabilité est lourde de conséquences dans les centres de santé : les praticiens ne sont plus que des « producteurs », pas de santé mais d’actes techniques médicaux générant des rentrées financières et qui ne trouvent leur justification que dans le patient malade et non dans la préservation du bien-être de l’individu et de la collectivité.
La médecine d’équipe tend à disparaître car les temps de réunion et de concertation sont considérés comme improductifs. Une médecine rémunérée à l’activité prend sa place, avec les mêmes caractéristiques que dans le secteur libéral.
Et que fait la Sécu ?
Elle est soumise à de fortes contraintes budgétaires et à de fortes pressions idéologiques. L’idée d’une protection sociale basée sur une partie du salaire socialisé des travailleurs et dont ils seraient cogestionnaires, via leurs représentants élus dans les conseils d’administration des caisses d’assurance maladie, est loin de plaire à tout le monde ! En effet, ce système soustrait au marché une part non négligeable de l’activité économique liée à notre santé.
La diminution de la part de la sécurité sociale (l’assurance maladie obligatoire) au profit des « mutuelles », liées de plus en plus aux banques et aux assureurs (l’assurance complémentaire), transfère progressivement au secteur privé et à la concurrence le remboursement et la prise en charge des frais de santé, avec tout ce que cela entraîne sur l’organisation des soins et leurs tarifs.
Un effet pervers apparaît : les tarifs pratiqués par les établissements et les professionnels de santé s’éloignent des coûts réels des actes et tendent à s’aligner sur les remboursements des assurances complémentaires. Ils sont ainsi de plus en plus dépendants des lois du marché et de la concurrence. Le secteur dentaire en est une illustration flagrante. En effet, pour attirer les adhérents potentiels, les assurances complémentaires (le terme « mutuelles » est devenu impropre !) proposent des prestations qui couvrent une part de plus en plus importante de ce qui reste à la charge des patients. Les dentistes et les établissements adaptent leur tarification à cette couverture complémentaire, tout en faisant en sorte que la part non remboursée aux patients reste limitée.
Dans ce système inflationniste, le perdant est toujours le patient ou l’adhérent, parfois la qualité des soins, parfois aussi le professionnel de santé pris sous les feux des gestionnaires de tous bords. On est loin du juste soin au juste coût et d’une médecine adaptée aux besoins des populations.
Certaines municipalités, institutions mutualistes, comités d’entreprise, associations ont à l’inverse créé des centres de santé en développant une autre approche de la médecine, avec pour objectif d’en faire des outils permettant une approche globale de la santé de toute une population et pas seulement des patients qui les fréquentent. Ce type de centre de santé doit permettre l’exercice d’une véritable médecine d‘équipe, coordonnée, et bien sûr accessible à toutes et à tous. Une telle démarche suppose des actions permettant d’évaluer l’état de santé et les risques sanitaires auxquels est exposée l’ensemble de cette population : son environnement, ses conditions de travail, de logement, etc. Cela permettrait de développer la prévention de ces risques, de mieux penser les soins et de mieux évaluer leurs effets sur l’ensemble de la population.
Vaste programme, qui ne fait que très peu l’objet de financements pérennes de la part des institutions, l’assurance maladie et le ministère de la santé, en charge de notre santé. Le système de santé actuel, qui privilégie la production et la distribution de soins associées à la recherche d’un équilibre financier et non la préservation de la santé, a dévoyé ce modèle de centre de santé. Triste destinée…
Fred Albi