Le 9 septembre 1986 était promulguée la loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’Etat, la première des lois dites « antiterroristes ». Alors que l’arsenal judiciaire accumulé depuis cette date permettait déjà largement la répression des délits quels qu’ils soient, le quinquennat de François Hollande aura renforcé l’empilement de textes liberticides, vers une reconfiguration de l’Etat en un Etat policier.
La création de nouveaux délits aboutit généralement à plus d’enfermement. La loi de juillet 1996 avait ainsi créé le délit d’ « association de malfaiteurs relative à une entreprise terroriste » qui incluait « l’aide aux personnes en situation irrégulière ». Le Conseil constitutionnel fit supprimer cet article. Supprimé dans la loi mais non dans les faits, des personnes étant toujours condamnées pour avoir aidé des migrants.
La loi du 21 décembre 2012 a quant à elle inauguré le délit d’« entreprise terroriste individuelle ». Celui-ci se fonde sur les habitudes, les relations, le visionnage de certains sites... Il juge un comportement, une supposée intention, pas des actes. C’est la présomption de culpabilité plutôt que la présomption d’innocence. La solidarité et le comportement sont aujourd’hui passibles de sanctions pénales pouvant conduire à la privation de liberté.
La privation de liberté
D’autres mesures contribuent également à développer l’enfermement. Comme la durée des gardes à vue, initialement de 24 heures maximum, puis de quatre jours et maintenant de six s’il y a « risque d’attentat » – encore une notion très vague. Ou l’incarcération de personnes présumées innocentes, prévue comme une exception mais qui a augmenté de 11,5 % entre 2014 et 2015. Le durcissement des peines est également réel pour l’ensemble des délits, surtout les plus petits, notamment les outrages à agents et rébellions lors d’arrestations ; actes de « délinquance », évidemment plus fréquents lorsqu’il y a hyper présence policière, dans les quartiers populaires ou lors de mobilisations.
Cette politique pénale et carcérale sert un gouvernement qui préfère payer chaque année de lourdes amendes en raison de la surpopulation et de l’indignité des prisons, ainsi que financer un plan de construction de 10 000 places qui contribueront à la richesse des Bouygues et consort, plutôt que de vider les prisons. Pour aller dans cette autre direction, il faudrait changer les critères qui continuent à enfermer les plus pauvres d’entre nous dans les prisons de la misère.
Enfin, la rétention de sûreté n’a pas été supprimée. Celle-ci autorise le maintien en centres fermés, sans nouveau jugement, de personnes ayant purgé leur peine, pour une durée indéterminée sous prétexte de dangerosité. Cela pourra hélas toujours servir ! Avec les assignations à résidence et les centres de rétention pour personnes ayant reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire), la rétention de sûreté est l’une des vraies zones de non-droit de la « République ».
Tous fichés !
Si le flicage de nos vies n’est pas nouveau, le gouvernement Hollande a multiplié les lois visant la géolocalisation quasi absolue de nos faits et gestes, déplacements, liens familiaux et sociaux. Il s’agit pour le pouvoir de tendre vers le profilage absolu de citoyens. La loi du 21 décembre 2014 prolonge la surveillance des données de connexion « dans un but préventif ». La loi renseignement de 2015, adoptée en procédure rapide, place la surveillance sous le contrôle direct du Premier ministre et de ses services, en légalisant la surveillance des communications sur le territoire et avec l’étranger.
Concrètement, le gouvernement a évincé la justice dans le processus de décision, légalisant ainsi les vieilles pratiques barbouzes de surveillance. La loi du 3 juin 2016 autorise l’utilisation de nouveaux dispositifs techniques permettant de capter directement les connexions à l’aide de l’IMSI (numéro unique figurant sur la carte SIM et permettant à un réseau mobile d’identifier un utilisateur) et de fausses antennes relais. La pose de caméras dans les cellules de détenus est autorisée et les fouilles des voitures et bagages par la police deviennent possibles sans autorisation du procureur ni consentement du propriétaire.
Cette politique du renseignement, sous couvert de traquer les éventuels terroristes, non seulement signe la remise en cause drastique des libertés mais fabrique la suspicion qui encourage racisme et délation. Les discours de Valls, « il faut neutraliser les groupes terroristes », « s’attaquer à notre ennemi de l’intérieur », « déradicaliser les islamistes », sont des véritables appels à la guerre. Parce qu’ils jettent le doute sur une partie de la population, musulmane ou supposée telle, ils deviennent un élément constructif d’une frontière à l’intérieur de la société entre « eux » et « nous ». Parallèlement on voit se renforcer tous les « récits nationaux », supposés historiques et scientifiques, autour de l’identité nationale.
Enfin, il n’y a pas de limite à la surveillance des citoyens : le méga fichier TES (pour « titres électroniques sécurisés ») qui doit rassembler les données notamment biométriques de 60 millions de Français, institué en douce par décret du ministre de l’Intérieur, en est la preuve. C’est une politique dangereuse, d’abord parce qu’aucune raison ne justifie cette entreprise attentatoire au respect de nos vies, et surtout parce que ces mégas fichiers pourraient être un jour exploités à des fins monstrueuses, comme l’Histoire nous l’a appris.
Hollande, président de « l’état permanent d’exception »
Une année sous état d’urgence, et déjà le gouvernement annonce sa prorogation pendant toute la période électorale ! Cazeneuve a pourtant reconnu dès mai 2016 qu’« il y a effondrement de l’efficacité de l’état d’urgence, les arrestations ont été réalisées les premiers mois de son instauration. 3579 perquisitions administratives en 7 mois, 67 peines prononcées, dont 31 susceptibles de relever de l’apologie du terrorisme et 5 pour actes de terrorisme ».
Si l’état d’urgence n’a pas d’utilité dans la lutte antiterroriste, il a une autre fonction, celle de maintenir l’ordre, leur ordre au service des possédants. Il a notamment conduit à renforcer le plan Vigipirate. En activité continue depuis le 8 septembre1995, sous la responsabilité directe du Premier ministre, Vigipirate permet un quadrillage urbain et, depuis janvier 2015, la mobilisation de l’armée. 122 000 personnels militaires patrouillent, dont 50 000 dans le cadre de l’opération Sentinelle, en particulier autour des zones déclarées sensibles – gares, aéroports, grands événements festifs ou sportifs… et évidemment les quartiers populaires. Des moyens énormes sont mobilisés. D’après le ministre de la Défense, l’opération Sentinelle coûte un million d’euros par jour. Avec la militarisation de l’espace public, toute notre vie est encadrée.
Le nombre des interdits ouverts par l’état d’urgence est si grand que toute action de résistance, même parfaitement légitime, devient potentiellement illégale. Et dangereuse : la répression violente, à l’aide de moyens et de méthodes qui relèvent souvent de la guerre, se trouve légitimée. Les violences policières, même si elles peuvent blesser souvent et tuer parfois, tout comme les bavures policières en augmentation dans les quartiers populaires, demeurent impunies. La justice de flagrance avec les comparutions immédiates, dont le nombre a doublé l’an passé, alourdit systématiquement les peines prononcées.
L’état d’urgence n’existe pas dans les autres pays européens, pourtant confrontés eux aussi à des attaques terroristes. En France, où il a été créé dans le cadre de la guerre d’Algérie afin d’y légitimer l’hyper violence d’Etat, puis utilisé pour mater la révolte kanake puis celle des quartiers populaires à l’automne 2005, il porte en lui de clairs relents colonialistes et racistes.
La reconfiguration en cours de l’appareil d’Etat
L’Etat et ses institutions sont des outils autoritaires au service d’un système économique profondément injuste et inégalitaire. L’Etat organise l’oppression, la division et si possible la soumission des exploités pour le profit du capital. Mais ce pouvoir prend des formes différentes.
En France, l’Etat de droit est défini par une double obligation : la séparation et l’équilibre des différents pouvoirs, car « seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir », et la protection des droits. De toute évidence nous ne sommes plus dans un Etat de droit, puisque non seulement le gouvernement ne fait pas respecter nos droits, même ceux inscrits dans le préambule de la Constitution, comme celui au logement par exemple, mais il suspend quand il le veut ceux qui existent encore.
C’est le cas du droit de manifestation. L’état d’urgence a donné les pleins pouvoirs à l’exécutif, évinçant la justice, pourtant elle aussi au service des puissants, mais jugée lâche par le président de la République et conspuée par des policiers dans des manifestations aux relents factieux.
Reçus par le président et le ministre de l’intérieur, les policiers obtiendront 250 millions d’euros, des postes, du matériel et de l’armement militaire, avec la bienveillance d’une grande partie de la classe politique à droite comme à gauche et la complicité des syndicats de policiers réhabilités par le gouvernement ; ainsi qu’une promesse inestimable, celle d’un projet de loi qui pourrait être examiné avant la fin de l’année, sur la présomption de légitime défense. Seul le syndicat Sud Intérieur a averti qu’« on ne peut aller plus loin que le régime de légitime défense tel que nous le connaissons, plus serait un pas vers l’État totalitaire ». Alain Brossat estime dans Mediapart que s’affranchissant de la loi qu’ils sont censés faire respecter, « ils sont dans la rue pour exiger plus de pouvoir, davantage de liberté d’action et moins de tutelle. Ils rêvent d’un Etat policier». D’après un sondage du Cevipof, 56 % d’entre eux voteraient en 2017 pour le FN, le parti dont le programme porte leurs revendications.
Penser et agir
Il faut prendre la mesure de ce qui est en train de se jouer dans cette conjonction entre les politiques économiques néolibérales et le renforcement de l’autoritarisme policier. Droite et « gauche » gouvernementales sont en train d’impulser des transformations de fond des démocraties bourgeoises, pourtant déjà limitées sur de nombreux plans.
Le gouvernement divise le camp populaire par la peur, le racisme, la répression, les attaques violentes contre tous nos biens communs. Avec beaucoup d’autres, nous sommes mobilisés pour les droits au travail, au logement, à la santé, à l’éducation, pour l’accueil de tous les migrants, contre leurs grands projets inutiles et leurs guerres. Contre l’identité nationale qui va sans doute être au cœur de la présidentielle, il faut aussi affirmer plus fortement l’identité sociale et la communauté d’intérêts des opprimé-e-s et exploité-e-s. Il faut travailler avec tous ceux, toutes celles qui le veulent à la convergence, la cohérence, l’audace de nos combats. Il nous faut croiser tous les terrains, du local à l’international. C’est à ce prix que nous pourrons mettre en œuvre une « politique des opprimés », qui ira jusqu’à renverser ce système.
Roseline Vachetta