Entretien. Militant de l’antiracisme politique, Omar Slaouti fait partie du comité Vérité et justice pour Ali Ziri à Argenteuil (95). Il est un des animateurs de la Coordination nationale contre les violences policières et, à ce titre, une des chevilles ouvrières du cadre qui organise les manifestations de ce samedi contre les violences policières et le racisme systémique et pour les libertés publiques.
Quels sont selon toi les enjeux de la réussite des manifestations de ce samedi ?
Nous traversons une séquence politique qualitativement différente. Si on estime qu’il y a une fascisation de la société, il faut comprendre que celle-ci avance par palier. Après la dissolution d’organisations telles que le CCIF, la plus grosse association antiraciste en adhérentEs de France ou la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), après le vote de la loi «séparatisme» avec toujours dans le collimateur les musulmanEs et leurs structures d’organisation, il faut bien comprendre que c’est le mouvement social que ce gouvernement veut tétaniser. Le gouvernement libéral sur le plan économique détruit toutes les libertés publiques, criminalise les mouvements sociaux (récemment les Soulèvements de la Terre et les mouvements écolos) et menace de couper les subventions à la LDH. Nous étions bien seulEs dans la lutte quand l’islamophobie était le seul laboratoire de la répression. Aujourd’hui, l’ensemble du spectre syndical, associatif, politique est visé. Il est temps de nous retrouver tous et toutes dans la lutte contre cette fascisation.
Il aura fallu le meurtre de Nahel, les révoltes dans les quartiers pour qu’émerge une réaction commune qui rassemble aujourd’hui plus de 110 organisations. Notre boussole, pour nous, comités contre les violences policières, c’est la dénonciation du racisme structurel de la police qui se poursuit, et qui s’est peut-être même accentué depuis les sorties factieuses de certains syndicats policiers de droite extrême, voire d’extrême droite, qui montraient du doigt ceux qu’ils nommaient « les nuisibles ». Il y a une volonté très forte de la police d’en découdre encore plus avec les quartiers populaires, c’est-à-dire concrètement de tuer en toute impunité davantage de NoirEs, de Gens du voyage et d’Arabes. Si pour les comités de quartiers populaires, le racisme policier est une évidence palpable, ce n’est pas le cas pour l’ensemble du mouvement social. L’assassinat de Nahel a été hélas une démonstration patente de ce qu’est le racisme systémique au travers d’une institution. La révolte des jeunes qui a suivi est la dénonciation politique exemplaire de cette institution, la plus raciste de ce pays. Pour cela, il faut exiger la relaxe de tous ces jeunes.
La mobilisation du 23 septembre est donc un enjeu extrêmement important et un test pour savoir si notre cadre unitaire exceptionnel peut tenir. Exceptionnel puisqu’il réunit à la fois des syndicats et des partis politiques, élargis aux associations et aux collectifs, en particulier aux comités contre les violences policières qui y sont pleinement engagés.
Cette rentrée a été marquée par l’offensive islamophobe du gouvernement autour de la question de l’abaya. Malgré un bon appel unitaire qui positionne « contre le racisme systémique », la discussion sur cette question reste difficile avec plusieurs organisations du mouvement social…
L’un des trois axes du 23 est bien la lutte contre le racisme systémique, c’est-à-dire un rapport social de domination qui fait système et qui existe dans tout système. Cela veut donc dire qu’il est distillé par les appareils de l’État, dans les institutions que l’on connaît bien, à droite et à l’extrême droite, mais y compris dans des secteurs de gauche. Ce racisme doit aussi être combattu au sein des organisations militantes, y compris quand elles sont de gauche. Lorsque le gouvernement a fait sa sortie islamophobe sur l’abaya, on a pu constater que certaines formations de gauche — on peut sans problème citer le Parti communiste de par sa direction, le PS, ou certaines instances syndicales, et c’est regrettable, comme la FSU — se sont exprimées en banalisant les propos de Macron et du ministre de l’Éducation nationale, ou ont préféré ne pas aborder le sujet pour ne pas se mettre à dos une partie de leur base rongée par l’islamophobie. La grille de lecture qui voudrait faire passer l’islamophobie pour une diversion ou un moyen de nous diviser est une vision trompeuse, réductrice et fausse de ce qu’est le racisme. Celui-ci est d’abord un rapport social de domination qui structure la société.
Certains préfèrent donc ne pas aborder le sujet, y compris dans le cadre unitaire d’organisation du 23. Pour nous, c’est extrêmement grave parce que la responsabilité des directions, c’est justement de donner des boussoles politiques, quitte à se défaire de certains militants.
Après ces bégaiements d’une partie de la gauche sur l’islamophobie d’État, les comités de quartier avec la Coordination nationale contre les violences policières ont décidé de poursuivre la lutte au sein de ce cadre unitaire mais avec leur carte de visite : l’égalité, toute l’égalité, et donc de dénoncer toutes formes de racisme, dont en l’occurrence l’islamophobie d’État qui dégouline dans la période.
Après le meurtre de Nahel, les familles de différentes victimes ont impulsé une coordination nationale contre les violences policières. Peux-tu nous dire en quoi cela marque un pas en avant dans l’organisation des premières et premiers concernéEs ?
La lutte contre les violences policières n’est pas nouvelle. On se mobilise depuis au moins quarante ans, depuis la Marche pour l’égalité. Des comités, il y en a eu plusieurs, et il y en a encore plusieurs. Comme pour toutes les luttes, il y a parfois des approches tactiques différentes qui nous ont conduit hélas à cultiver plus les divisions que les rassemblements… Dans cette période de fascisation, on a de temps en temps intérêt à se retrouver pour frapper ensemble. L’idée d’une coordination de l’ensemble des comités contre les violences policières, quelles que soient les histoires des unEs et des autres, nous semblait importante : cela ne veut pas dire travailler tout le temps ensemble, partager exactement les mêmes analyses ou les mêmes orientations stratégiques, mais se coordonner de temps en temps.
Dans ce cadre-là, nous avons décidé de lancer cette coordination nationale qui regroupe plusieurs dizaines de comités contre les violences policières, et qui sera présente le 23 pour mettre en avant des revendications en commun. Précisons que chaque comité doit avoir ses propres revendications, sa propre légitimité, son autonomie. C’est un exercice qui n’est pas simple : il existe des sensibilités différentes, il y a parfois eu des « affrontements » entre certains comités… Mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui l’État nous frappe tous et toutes très fort, et qu’il nous a toutes et tous dans le collimateur. On a donc intérêt à se réunir dans le cadre de cette coordination pour pouvoir discuter pratiquement de projets et de luttes en commun.
Après la journée de samedi, comment vois-tu les suites de ce cadre unitaire inédit ?
Après le 23, il y a le 24… Ça veut dire qu’on ne pourra pas rentrer chez nous comme si rien ne s’était passé. Cette mobilisation est un test. Elle doit servir à dessiner des perspectives d’un front de lutte face à ce gouvernement : à la fois contre son volet néolibéral — la justice et l’égalité sociale au sens de la répartition des richesses — mais aussi pour l’égalité des droits. Dans l’échéancier politique, il y a la loi Darmanin qui consiste à chasser les sans-papierEs toujours plus loin, pour qu’ils meurent dans l’invisibilité la plus totale, très loin des frontières de la France, de Schengen, avec Frontex comme police pour veiller à tout ça.
Continuer ce combat dans ce cadre unitaire est très important, tout comme pouvoir contrer ces politiques répressives à l’endroit des sans-papierEs, dans les quartiers populaires, et à l’endroit du mouvement social. Parce que ça va s’accélérer : le néolibéralisme, le capitalisme aujourd’hui, ne peut pas avancer davantage dans les inégalités de richesse sans frapper encore plus fort sur celles et ceux qui sont tout en bas de l’échelle sociale. Ça fait partie de sa logique d’ensemble. Il y a donc nécessité, face à cette recrudescence de la force de l’État et de son bras armé, de continuer le combat, en nous armant de notre unité.
Propos recueillis par Manu Bichindaritz