« [La] subalternisation ne se limite pas tant dans une confiscation de la parole que par une incapacité à entendre cette parole. En effet, bien des femmes dites du Sud parlent, agissent et participent, mais la lentille (post)coloniale par laquelle elles sont écoutées ou observées déforme leurs discours, souvent à la faveur des clichés orientalistes. » (Leila Benhadjoudja)
Jour après jour, les principaux médias et personnalités politiques nous le répètent : l’islam serait le cheval de Troie des djihadistes ; les musulmanEs, l’ennemi intérieur ; « la femme voilée », l’incarnation de l’aliénation religieuse et donc potentiellement la pire des prosélytes.
La réalité étant têtue et irréductible à une telle caricature, les plus hautes sphères de l’État, la quasi-totalité du spectre politique et médiatique et des associations comme le « Printemps républicain » sont obligés de déployer en permanence des efforts démentiels pour entretenir la fiction orientaliste selon laquelle l’islam constituerait une réalité homogène, figée, anhistorique et essentiellement misogyne et selon laquelle les femmes portant le voile seraient des objets, toujours victimes et dénuées de toute agentivité.
Rendre Maryam inaudible
C’est dans ce contexte que, le samedi 12 mai, Maryam Pougetoux, porte-parole de l’UNEF, s’exprime contre la sélection à l’université. Par son irruption, aussi brève soit-elle, dans un monde médiatique où les femmes musulmanes portant le voile sont toujours objets (mais rarement sujets) du débat, par son engagement politique, par sa fonction de représentante élue au sein de l’UNEF, Maryam Pougetoux ébranle l’édifice idéologique colonial dans lequel ils essaient de nous enfermer. Les femmes portant le voile, tout comme l’islam, ne sont pas ce qu’on nous dit d’elles, Maryam Pougetoux en est la preuve vivante. Il devient alors urgent de la rendre inaudible, de la faire rentrer dans le moule de la fiction orientaliste. Telle est la fonction du déferlement islamophobe qu’elle subit depuis lors.
Ce travail de négation de la personne et de sa parole peut prendre des formes frontales et décomplexées comme avec la « Une » de Charlie Hebdo qui, dans une iconographie d’héritage colonial, déshumanise et objective Maryam Pougetoux (« Ils m’ont prise pour diriger l’UNEF ») ou des formes plus subtiles comme les discours de La France insoumise : « Lorsque l’on est représentant politique ou syndical en fonction, on ne donne pas à voir ses convictions religieuses car on doit s’attacher à représenter tout le monde » (Adrien Quatennens). Mais au-delà des formulations, la logique est la même : bâillonner Maryam, fausser la réalité, et rétablir le discours colonial hégémonique.
Islamophobie genrée
Cette idéologie hégémonique, l’islamophobie genrée, vient justifier et renforcer l’ordre politique et économique capitaliste, raciste et patriarcal. Julien Dray, avec une sincérité déconcertante, nous le rappelle lorsqu’il affirme ce qui suit : « Qu’une adhérente du syndicat décide de porter le voile [...], je peux l’admettre, [...] mais qu’elle devienne porte-parole, cela n’est pas possible. » Autrement dit, pour celles et ceux qui ne l’auraient pas compris : la place d’une femme portant le voile dans la division sexuelle et raciale du travail, qu’il soit militant ou marchand, est subordonnée et dans l’invisibilité : faire le ménage pour le camarade ou pour le patron, par exemple.
Maryam Pougetoux, par le simple fait d’apparaître au grand public pour ce qu’elle est, une femme engagée, politisée, élue, féministe, et musulmane, remet en cause l’idéologie hégémonique qui entretient l’ordre social actuel. Les ennemis de l’émancipation ne s’y sont pas trompés !
Élisa et Hugo (Paris 17-18)