Entretien avec Anzoumane Sissoko, porte-parole de la coordination 75 et du ministère de la Régularisation de tous les sans-papiers et coordinateur de la marche européenne.Pourrais-tu tirer un premier bilan à chaud de cette marche européenne ?Tout d’abord, je voudrais dire que l’organisation de la marche n’a pas du tout été facile. Nous en avions eu l’idée vers avril 2011. Il a fallu pratiquement plus d’un an pour tout préparer. Pour moi, honnêtement, notre passage à Hénin-Beaumont a été le déclencheur de l’intérêt pour cette marche. Ça a été quelque chose de très positif pour nous. Que ce soit en Belgique, en Allemagne ou dans le nord de la France, beaucoup de gens nous ont appelés après notre passage là-bas.
Cette marche a été très productive pour la cause des sans-papiers, ce qui est symbolique, c’est son aspect européen. Les sans-papiers sont parqués chacun dans un pays, qu’ils ne peuvent plus quitter. Nous, on a bravé ça, on a marché dans sept pays de l’Union européenne, et partout où nous sommes passés nous avons demandé la liberté de circulation et d’installation.Quel accueil avez-vous reçu ?L’accueil a été très bon partout, en commençant par la Belgique, où les collectifs belges de soutien aux sans-papiers nous ont accueillis avec des associations laïques, ils nous ont installés dans des leurs locaux, nous avons même pu aller dans une église, mais aucun des maires de l’agglomération de Bruxelles ne nous a reçus. À Liège, ville francophone, nous avons également reçu un bon accueil. Nous avons fait une manifestation très médiatisée.Quelles ont été les étapes les plus marquantes de la marche ?Nous sommes allés à Maastricht, ville symbole s’il en est. Tout le monde nous l’avait déconseillé parce que c’est paraît-il une ville facho et qu’on allait se faire taper dessus. Eh bien, nous avons manifesté dans Maastricht, le jour du marché, sans problème ! Nous avons été accueillis par les syndicalistes de Synergie qui nous ont apporté leur soutien logistique. Nous avons tenu une conférence de presse avec les syndicalistes, Die Linke, le Parti socialiste luxembourgeois. Un député européen avait fait le déplacement pour assister à la conférence de presse. Mais l’étape la plus symbolique, c’est sans doute Schengen, célèbre par les accords qui y ont été ratifiés, tout le monde se souvient de ce qu’il s’est passé là-bas. Nous avons traversé le pont de Schengen qui est au confluent de trois frontières, allemande, française et luxembourgeoise, sans aucune présence policière... ça change de la vie quotidienne ici ! Nous avons ensuite rejoint Florange, où nous avons été accueillis par le maire, ainsi que des syndicalistes et des salariés qui avaient fait la marche de Florange à Paris. Le maire nous a offert une médaille de la ville et nous avons eu de longs et riches dialogues avec ceux qui se battent pour leur emploi là-bas. Verdun était aussi une étape importante, historique, que nous avons vécue avec beaucoup d’émotion. Nous avons rendu hommage aux 50 000 soldats inconnus enterrés à Douaumont et aux 150 000 soldats identifiés, sans distinction de « race » de nationalité ou de religion.
L’étape allemande, Mannheim, symbolise pour nous le renouveau de la lutte des sans-papiers. Beaucoup de jeunes Allemands se sont intéressés à la marche, comme en Italie et en Belgique d’ailleurs. Nous avons organisé avec eux une grande fête, plusieurs manifestations dans la ville, ainsi qu’à Heidelberg avec les précaires, où nous avons également été très bien reçus. À Fribourg, nous avons rejoint les « no border » que nous avions déjà rencontrés au forum de Dakar. Ils ont fait un travail formidable pour organiser la manifestation de Fribourg. Ensuite, nous sommes entrés en Suisse, accompagnés de 300 personnes qui étaient venues nous accueillir. Après un long arrêt repas sur le poste frontière même, c’est en manifestation que nous avons rejoint Bâle, où nous avons fait une étape devant un centre de rétention, puis le lendemain à Berne, nous avons rejoint la manifestation syndicale de 5 000 personnes dans laquelle on nous a demandé de prendre la parole les premiers. Il faudrait aussi parler de l’Italie, de l’accueil formidable des Cobas, mais nous n’avons hélas pas la place ici... Point final de notre marche, Strasbourg le 2 juillet avec une belle manifestation également et une délégation de sans-papiers reçue le lendemain par des députés européens et par le président du Conseil.Peux-tu nous rappeler les principales revendications portées par les marcheurs ?Il y a la liberté de circulation et d’installation pour tous, la régularisation globale de tous les sans-papiers, l’abrogation de la directive européenne sur l’immigration, la fermeture des centres de rétention administrative, le respect du droit d’asile, des droits des Roms et l’égalité des droits entre Européens et migrants.