La commission européenne a accordé le 3 mai un délai de deux ans à la France (et à d’autres pays) pour ramener son déficit budgétaire à 3 %, conformément à la « règle d’or » des traités européens. Cela deux semaines après le lancement d’une polémique, au sein même du parti socialiste, sur l’austérité en Europe.Ce fut alors un vrai « petit débat à la con ». Suite à la diffusion d’un brouillon de rapport interne à la direction du PS déplorant « l’égoïsme » du gouvernement allemand, Bartolone réclama une « confrontation » avec Merkel, Valls cria à l’irresponsabilité, la droite condamna la démagogie socialiste, Hollande synthétisa : la France est en « tension amicale » avec l’Allemagne. Bref, un « débat » bien fait pour masquer les vrais problèmes et alimenter les préjugés nationalistes.C’est dans ce contexte que Moscovici s’est réjoui de la décision de la Commission européenne. « Entre la réduction des déficits et le soutien à la croissance, c’est [le dernier point] qui l’emporte et c’est fondamental. (…) Ce sont les thèses françaises qui ont été entendues. » Il y aurait donc un virage, de l’austérité (allemande ?) vers la « relance » (française ?) ?
La crise s’aggraveLa décision de la commission n’a pourtant rien d’extraordinaire. D’abord, il s'agit un simple délai. Pas une remise en cause de fond des politiques d’austérité. La commission ne fait que constater l’impossibilité d’appliquer la « règle d’or ». Partout la crise du capitalisme, conjuguée aux plans d’austérité, se traduit par la récession, qui fait plonger les recettes fiscales et donc… enfler les déficits. Bruxelles prévoit une récession de 0,4 % pour la zone euro cette année, un tout petit + 1,2 % pour 2014. En France une récession prévue de 0,1 % du PIB en 2013 devrait donc s’accompagner d’un déficit budgétaire de l’État de 3,9 % du PIB en 2013, et de 4,2 % en 2014.La commission a demandé au gouvernement français d’accélérer les réformes du marché du travail, des retraites, des services publics, et les dirigeants socialistes se sont empressés de dire qu’ils feraient ces réformes !
La faute à l’Allemagne ?Le débat sur l’austérité va donc (heureusement) continuer à faire rage. Mais faut-il insister sur une « responsabilité allemande » ?En Europe, il y a des situations économiques différentes d’un pays à l’autre, et des rapports de force. L’Allemagne est l’État qui a aujourd’hui le plus intérêt à imposer l’austérité la plus systématique. Il est aussi incontestable que l’on voit, depuis le début de la crise, se durcir des relations qui fleurent le néo-colonialisme au sein de l’Union européenne. Les plus grandes puissances européennes ont imposé des réformes semblables aux plans d’ajustement structurel du FMI dans les pays qu’on disait du « tiers-monde », à la Grèce, à Chypre, ou au Portugal, avec la même arrogance antidémocratique.Mais si la France est censée être un « pays du milieu », par la situation économique, entre ceux du nord et ceux du sud du continent, ses gouvernements, sous Sarkozy puis sous Hollande, ont été pleinement coresponsables de ces politiques, en accord avec l’Allemagne sur l’essentiel, pour le plus grand profit de ses riches, de ses grandes entreprises et de ses banques.C’est qu’au-delà de la situation de tel ou tel pays, il y a une sorte de programme commun de tous les capitalistes du continent européen, du nord au sud : leur argent est placé partout, en titres financiers divers, via un système financier globalisé, et ils tiennent tous à maintenir la valeur de leurs fortunes, leurs titres de dettes publiques, leurs actions, leurs créances. Pour cela, les États doivent payer leurs dettes rubis sur ongles, ne doivent pas laisser filer l’inflation, et doivent « sécuriser » les institutions financières et les fortunes.À l’inverse, tous les travailleurs européens, les Allemands comme les Français et ceux du sud, doivent être plongés dans l’insécurité sociale généralisée, par ces fameuses « réformes » qui doivent servir de levier pour exploiter toujours plus les salariés.Les socialistes européens, même ceux de la gauche du PS français, n’ont pas d’autre horizon. Leurs gesticulations (inspirées de Mélenchon ?) contre « l’hégémonie » allemande sont dérisoires et contribuent à diviser les classes populaires du continent. Et comme par hasard, plus ils sont virulents dans le chauvinisme, moins ils sont radicaux sur le plan économique, face aux profits et comportements des banques et des grandes entreprises françaises… et aux responsabilités de leur propre gouvernement.
Yann Cézard