Au départ, une source anonyme qui communique à un journal allemand des archives d’un cabinet d’avocats panaméen dénommé Mossack Fonseca et spécialisé dans le montage de sociétés écrans offshore (extraterritoriales). Ce journal s’est entendu avec d’autres dans divers pays (ici Le Monde) pour exploiter et publier les fichiers.
Mossack Fonseca a créé et administrée plus de 214 000 sociétés écrans. Imaginons que vous ayez des revenus que vous ne souhaitez pas déclarer, soit parce qu’ils ne sont pas propres, soit tout bonnement parce que vous considérez que les impôts, c’est fait pour les naïfs... Mossack Fonseca vous aidera à monter une société dans un paradis fiscal et cette société ouvrira un compte dans lequel vous pourrez dissimuler ces revenus qui y arriveront par des biais détournés.
Mossack Fonseca (ou une autre firme de ce type) pourra même vous fournir des prête-noms pour que vous n’apparaissiez pas comme administrateur de cette société, et même de faux actionnaires locaux, pour augmenter l’opacité. Ainsi vous serez vraiment invisible, et il sera très difficile au fisc de vous incriminer même s’il a des soupçons. Pour compliquer encore plus les choses, vous pouvez faire créer plusieurs sociétés offshore ou une fondation (les possibilités de dissimulation y sont encore plus grandes). Plus fort encore, Mossack Fonseca a utilisé comme bénéficiaires fictifs de certains montages le Comité international de la Croix Rouge ou le WWF (ONG de protection de la nature), sans bien entendu prévenir les intéressés. Des appellations prestigieuses qui permettent de détourner d’éventuels soupçons.
Une manipulation ?
Les noms les plus en vue qui ont été publiés ne comprennent pas d’Américains et peu d’Européens. Il est légitime de se poser la question de la manipulation. Mais il faut s’entendre sur ce que serait une manipulation. Il est très improbable que des noms « innocents » aient été ajoutés à la liste : on connaît par exemple l’habitude des oligarques russes de préserver l’avenir en faisant passer une partie de leurs richesses à l’étranger. Des noms ont-ils été enlevés, en l’espèce ceux de fraudeurs américains ? Il a plusieurs raisons pour en douter. Mossack Fonseca n’est qu’une des sociétés se livrant à ce genre de pratiques : il est possible qu’en fonction des réseaux avec lesquels ils sont en contact, les Américains privilégient d’autres firmes. Par ailleurs, les Américains ont des paradis fiscaux à domicile, comme le Delaware et le Wyoming, avec la possibilité de montages permettant de dissimuler leur identité réelle. L’ONG Tax Justice Network classe ainsi les USA parmi les territoires les plus opaques. Au total, la manipulation par soustraction de noms n’est pas impossible mais peu probable.
Ce n’est pas la première affaire
Pour se limiter à la période récente et aux cas ayant eu une dimension internationale, diverses autres affaires ont été révélées avec des mécanismes de fraude ou d’évasion fiscale (recettes pour réduire ses impôts tout en ne violant pas directement la loi : grandes entreprises et riches particuliers emploient pour ce faire des batteries de conseillers fiscaux). Il y a eu en 2008 le scandale de l’Union des banques suisses. En 2013, une fuite a concerné 122 000 sociétés offshore. Pour ce qui est de la France, cette affaire a permis de mettre en lumière le rôle de certaines banques (BNP Paribas et Crédit agricole) dans ce système de contournement du fisc. En 2014, sont révélés les accords fiscaux confidentiels conclus entre 2002 et 2010 entre le fisc luxembourgeois et 340 multinationales (Apple, Amazon, Ikea, etc.). Puis en 2015, des documents détournés par un ancien informaticien de HSBC montrent que HSBC aurait aidé ses clients à échapper à l’impôt, leur proposant de constituer elle-même leur société offshore.
Une découverte ?
Il est à remarquer qu’à chaque fois les informations viennent de la presse et non des services fiscaux. Pourtant, tous ces mécanismes sont parfaitement connus des dirigeants et des administrations fiscales de tous les pays. Autre chose est la volonté politique d’y mettre fin. Les banques françaises, qui ont multiplié les implantations dans les paradis fiscaux, en sont un des rouages, notamment la Société générale (qui figure parmi les banques les plus liées à Mossack Fonseca), dont le patron Frédéric Oudea est allé jusqu’à mentir alors qu’il déposait sous serment devant le Sénat en 2012.
« J’interdirai aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. » La promesse de François Hollande figurait parmi ses 60 engagements pour la France en 2012 : rien d’essentiel n’a été fait. Il faut aussi savoir que la liste officielle des paradis fiscaux est très restreinte, au point que le Panama n’en faisait plus partie ! Après les révélations récentes, le ministre des Finances Michel Sapin a fini par convoquer le patron de la Société générale mais a eu l’air de se satisfaire d’un vague engagement de clarification ! Ne rien faire qui déplaisent aux banquiers, c’est bien la politique de ce gouvernement.
Henri Wilno