Publié le Vendredi 8 avril 2016 à 13h45.

« Panama papers » : les arrière-cours du capitalisme

Chaque jour apporte désormais son lot de révélations sur les « Panama papers » : pour maintenir leur public en haleine, les journaux qui détiennent les documents, distillent les informations.

Le point de départ

Une source anonyme a communique à un journal allemand des archives d’un cabinet d’avocats panaméen dénommé Mossack Fonseca et spécialisé dans le montage de sociétés écrans offshores (extraterritoriales). Comme cela s’était produit dans des cas précédents (voir ci-dessous), ce journal s’est entendu avec d’autres dans divers pays (en France, c’est « Le Monde ») pour exploiter et publier les fichiers.

Ce n’est pas la première affaire

Pour se limiter à la période récente et aux cas ayant eu une dimension internationale, diverses affaires ont été révélées avec des mécanismes de fraude ou d’évasion fiscale (recettes pour réduire ses impôts tout en ne violant pas directement la loi : grandes entreprises et riches particuliers emploient pour ce faire des batteries de conseillers fiscaux). Ce récapitulatif a été établi sur la base d’informations publiées par Le Monde).

* l’UBS (Union des banques suisses) en 2008-  La justice américainea été informée que des dizaines de milliers de riches Américains ont placé dans cette banque environ 20 milliards de dollars. L’UBS a aidé ces personnes à frauder le fisc mais de plus avait été les démarcher aux Etats-Unis pour les inciter à le faire. Mais la fraude concerne également (entre autres) des Français : en juillet 2015, le fisc français a reçu un disque contenant 38 330 comptes de clients français.

* les « Offshores Leaks » en 2013- Des journalistes (grosso modo le même groupe que celui des « Panama papers ») ont enquêté sur une « fuite » de 2,5 millions de documents associés à 122 000 sociétés offshore gérées par une firme de Singapour et et une autre localisée dans les îles Vierges britanniques. Deux territoires pas trop « regardants ». Pour ce qui est de la France, cette affaire a permis de mettre en lumière le rôle de certaines banques (BNP Paribas et Crédit agricole) dans ce système de contournement du fisc. 130 Français avait placé des actifs dans ces sociétés offshore (dont le trésorier de la campagne de François Hollande en 2012). D’autres pays étaient évidemment concernés par ces fichiers, dont la Chine avec des proches de dirigeants du PC

* les « Luxembourg leaks » en 2014- Le même groupe de journaux, sur la base d’une fuite du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers, révèlent les accords fiscaux confidentiels conclus entre 2002 et 2010 entre le fisc luxembourgeois et 340 multinationales (Apple, Amazon, Ikea, etc). Ces accords permettent à ces firmes de payer moins d’impôts.

* les listings HSBC (2015) - Ce sont des documents détournés par un ancien informaticien de HSBC et fournis au fisc français. Les mêmes journalistes y ont eu accès. Comme dans les cas UBS, HSBC aurait aidé ses clients à échapper à l’impôt, leur proposant de constituer elle-même leur société offshore. Plus de 5,7 milliards d’euros auraient ainsi été cachés par des contribuables français grâce à des sociétés-écrans installées au Panama ou aux îles Vierges britanniques.

 

S’agit-il d’une manipulation ?

Les noms les plus en vue qui ont été publiés ne comprennent pas d’Américains et peu d’Européens. Par contre, des proches de Poutine et de la direction chinoise sont bien visibles. La Russie a immédiatement crié à la manipulation, thèse reprise, dans un premier temps, en France par Jean-Luc Mélenchon.

Il est légitime de se poser une telle question. Mais, il faut s’entendre sur ce que serait une manipulation :

-        Des noms ont-ils été ajoutés ? C’est très improbable : on connait, par exemple, l’habitude des oligarques russes à préserver l’avenir en faisant passer une partie de leurs richesses à l’étranger.

-       Des noms ont-ils été enlevés, en l’espèce ceux de fraudeurs américains ? Il a plusieurs raisons pour faire douter d’une telle manipulation. Mossack Fonseca n’est qu’une des sociétés se livrant à ce genre de pratiques : il est possible qu’en fonction des réseaux avec lesquels ils sont en contact, les Américains privilégient d’autres firmes (rien qu’au Panama, Mossack Fonseca a un concurrent de taille comparable : Morgan  & Morgan). Par ailleurs, les Américains ont des paradis fiscaux à domicile comme le Delaware et le Wyoming avec la possibilité de montages permettant de dissimuler leur identité réelle. L’ONG Tax Justice Network classe ainsi les USA parmi les territoires les plus opaques. Il y a des paradis fiscaux anglophones tout près des USA dans les Caraïbes. Au total, la manipulation par soustraction de noms n’est pas impossible mais peu probable.

Mais la question continuera d’exister tant que les fichiers n’auront pas été rendus publics.

 

Comment marche le système ?

Mossack Fonseca a créé et administrée plus de 214.000 sociétés écrans.  A quoi servent-elles ? Imaginons que vous ayez des revenus que vous ne souhaitez pas déclarer, soit parce qu’ils ne sont pas propres, soit tout bonnement parce que vous considérez que les impôts, c’est fait pour les naïfs ; Mossack Fonseca vous aidera à monter une société dans un paradis fiscal et cette société ouvrira un compte (pas forcément dans une banque du même pays) lequel vous pourrez dissimuler ces revenus qui y arriveront par des biais détournés. Il y a en Europe (y compris à Paris) des cabinets spécialisés qui peuvent vous aider à ouvrir une société offshore en passant par une firme comme Mossack Fonseca.

Mossack Fonseca (ou une autre firme de ce type) pourra même vous fournir des prête-noms pour que vous n’apparaissiez pas comme administrateur de cette société et, même de faux actionnaires locaux, pour augmenter l’opacité : ainsi vous serez vraiment invisible. Ainsi il sera très difficile au fisc de vous incriminer même s’il a des soupçons. Pour compliquer encore les choses, vous pouvez faire créer plusieurs sociétés offshores ou une fondation (les possibilités de dissimulation sont encore plus grandes).

 

Une découverte ?

Toutes ces mécanismes sont parfaitement connus des dirigeants et des administrations fiscales de tous les pays. Autre chose est la volonté politique d’y mettre fin. Les banques françaises, qui ont multiplié les implantations dans les paradis fiscaux, en sont un des rouages, notamment la Société générale (qui figure parmi les banques les plus liées à Mossack Fonseca) dont le patron Frédéric Oudea est allé jusqu’à mentir alors qu’il déposait sous serment devant le Sénat en 2012.

« J'interdirai aux banques françaises d'exercer dans les paradis fiscaux. » La promesse de François Hollande figurait au septième de ses 60 engagements pour la France en 2012 : rien d’essentiel n’a été fait. Il faut aussi savoir que la liste officielle des paradis fiscaux est très restreinte, au point que le Panama n’en faisait plus partie !

De plus, des extraits des fichiers de Mossack Fonseca avaient déjà fuités et vendus aux autorités fiscales allemandes, américaines et britanniques. Les Allemands avaient engagé des poursuites (une banque avait dû payer en 2015 une amende de 17 millions d’Euros pour avoir aidé certains de ses clients à frauder). La France fait aussi partie des pays à qui avait été proposé l’achat de documents ; qu’ont décidé les ministres et responsables des impôts ? Mystère. En tout cas aucun banquier n’a alors été inquiété. Après les révélations récentes, le ministre des Finances, Michel Sapin a fini par convoquer le patron de la Société générale mais a eu l’air de se satisfaire d’un vague engagement de clarification ! Ne rien faire qui déplaisent aux banquiers, c’est la politique de ce gouvernement.

Les noms dévoilés illustrent une fois de plus le cynisme des puissants : les super-riches échappent à l’impôt et les autres en paient plus. En France, par exemple, selon l’économiste Gabriel Zucman, il y a 17 milliards d’euros d’évasion fiscale illégale offshore.

A force de parler de la finance en général, certains en oublient souvent la bourgeoisie. Les « Panama papers » rappellent qu’en dernière analyse, les profits arrivent dans la poche d’individus concrets qui, souvent, n’hésitent pas à utiliser toutes les ficelles pour  échapper aux impôts. Il ne va certainement pas manquer de voix pour dire que seules quelques « brebis galeuses » sont en cause alors qu’en réalité cette affaire est un révélateur  de la réalité du système capitaliste lui-même.

Henri Wilno