Publié le Mercredi 4 janvier 2017 à 09h48.

Auchan : La vie, la vraie ?

Lundi 26 décembre, la CGT Auchan City de Tourcoing dénonçait une histoire sordide...

Une jeune caissière de 23 ans, en contrat de professionnalisation, apprend sa grossesse au début de son contrat. Nausées, fatigue, vertiges... Ses demandent successives pour se rendre aux toilettes lui sont refusées. Victime d’une fausse couche à son poste de travail, son siège est plein de sang quand les pompiers arrivent. Après une nuit à l’hôpital, elle contacte sa supérieure : « Il faudra ramener le justificatif », lui rétorque-t-on... Et on lui demande si elle peut revenir travailler le lendemain. « La période d’arrêt consécutive à ce drame personnel ne m’a pas été rémunérée », indiquera-t-elle, la direction ne reconnaissant pas non plus qu’il s’agit d’un accident du travail. La CGT locale se dit « peu étonnée ». « Cela fait des années que les salariéEs font remonter les techniques de management exécrables ».

Quant à la direction de la communication, elle se retranche derrière « un enchaînement malheureux des faits », déplorant une « incompréhension mutuelle ». Pour la direction du groupe, l’important est que ça tourne : il s’agit de faire du chiffre et de dégager des dividendes. Il faut réaliser le cycle de la marchandise toujours plus vite pour réaliser la valeur, celle qui « compte », celle que l’on retrouvera à la Bourse (en l’occurrence celle du groupe Mulliez).

Surveiller et punir...

Caméras partout par dizaines (notamment en direction des caisses), travail sous contrôle permanent – caméras de surveillance (nouveau panoptique), système informatique, petits chefs –, encouragement à la délation, interdiction de discuter ou d’aller aux toilettes, d’échanger entre collègues, d’être solidaires... Un ressenti permanent d’être coincé, immobilisé, dans un travail abrutissant, aliénant. Il ne s’agit pas tant de la recherche de l’adhésion à l’idéologie des directions que de la réduction à néant du pouvoir d’agir des personnes.

Alors il faut « encaisser », au double sens du terme1, et subir la précarité, des horaires discontinus découpés entre les temps travaillés et non travaillés, « l’emploi partiel »... Être en forme est aussi un impératif pour déplacer, soulever l’équivalent de 2 à 3 tonnes de produits par jour, source de troubles musculo-squelettiques (TMS), tout cela pour un salaire de misère et souvent la peur de perdre l’unique source de revenu (car ce sont souvent des femmes seules avec enfants).

Sans cesse, tout au long de journées sans fin, il faut appliquer la consigne SBAM : « Sourire... Bonjour... Au revoir... Merci », et passer au suivant (« Sourire... »), subir les remarques désobligeantes, les injures, parfois les violences des clientEs, ainsi que les humiliations (une mère s’adressant à sa fille : « Tu vois, si tu ne travailles pas à l’école, tu seras comme la dame »...).

Et l’erreur est interdite. Il y a peu, dans la même chaîne de supermarché Auchan, pour une erreur de caisse de 0,85 centime d’euro, une caissière avait été licenciée, avant d’être ensuite réintégrée.

La prolétarisation du secteur tertiaire

Si Auchan est « à l’horreur » aujourd’hui, il en est de même bien entendu chez Carrefour, Leclerc, ou encore Amazon, des conditions semblables aux chaînes de montage des constructeurs automobiles et à bien d’autres secteurs. Les postes y sont, il n’y a pas de hasard, occupés par des jeunes (parfois très diplômés), des femmes, des immigrées...

Les conditions de travail et de vie des caissières sont révélatrices de la condition de bien d’autres métiers. Le tertiaire n’est pas exempt du pire : sous la pression de la financiarisation, l’on assiste depuis plus de 20 ans à la prolétarisation des employéEs, et services rime de plus en plus avec sévices, sur les travailleurs et travailleuses mais aussi sur les usagerEs, les patientEs, touTEs dénommés clientEs...

Les caissières de grandes surfaces constituent le cas typique de ce phénomène. Un concentré pur jus du capitalisme actuel. Mais ces secteurs en extension du salariat, en particulier le secteur tertiaire féminisé, deviennent à leur tour des lieux de contestation. Y a du boulot !

Alain Jacques

 

  • 1. Lire l’excellent ouvrage de Marlène Benquet, Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution (La Découverte, 2015, 11,50 euros).