Glareh, représente CGT du personnel à la Fnac Saint-Lazare raconte quatre mois de grève à la Fnac Saint-Lazare qui ont abouti à des embauches.
L'Anticapitaliste : Est-ce que tu peux nous raconter comment a débuté le mouvement de grève, dans quelles conditions, quelles étaient vos revendications ?
Glareh Khadjé-Nouri : Ça a débuté le 8 décembre dans un couloir. La colère montait depuis des années. C’était censé être un débrayage comme d’habitude sauf que d’habitude on est en bas dans le magasin, on est visible et là, dans un couloir, il y avait besoin de discuter. Ça a duré comme ça une semaine et c’est ce qui a posé les bases d’une grève reconductible qui a duré trois mois et demi. C’est historique parce qu’à la Fnac Saint-Lazare ça n’était jamais arrivé. Il y en avait eu une seulement à la Fnac des Champs- Élysées.
Ça a incité d’autres magasins à se mettre en grève ?
Il y a eu de gros mouvements de grève à la Fnac il y a plus de dix ans et ça avait posé un vrai rapport de force avec la direction. Puis ça s’est étiolé et malheureusement du coup le rapport de force a baissé. Mais oui en décembre, il y a eu des moments dans d’autres Fnac en France et c’est ce qui a permis une avancée : une de nos revendications était la prime Covid, dont l’employeur avait dit publiquement sur France Inter qu’il ne nous la verserait pas, et il ne s’est pas dédit, mais ils ont versé la prime pouvoir d’achat et pour nous clairement c’est parce qu’ils ont bien vu qu’il y avait une colère qui est en train de monter à Paris et en province.
Il y a un problème de cadences, et vous revendiquez surtout face à un manque d’effectifs.
On était vraiment sur les conditions de travail parce que les effectifs sont en baisse constante : ils ne remplacent pas les départs, et ils prennent maintenant beaucoup d’intérimaires, des stagiaires, des alternants, des démonstrateurs qui ne sont plus des salariés Fnac.
Il y a une vraie baisse d’effectifs, des conditions de travail qui sont devenues vraiment difficiles et le point principal est la souffrance au travail, ce qui a conduit les gens à décider d’arrêter de subir, à relever la tête et à s’organiser.
Comment ça s’est passé pendant le confinement pour la Fnac, elle a réussi à se faire des thunes ?
Grave ! Les deux premiers mois, quand on était tous confinés, en 2020, les magasins ont fermé mais le site a continué de fonctionner, et à très bien fonctionner. Dans toute la presse, pour parler des mouvements de grève, c’était un peu compliqué, mais dès que la Fnac a une déclaration à faire, c’est retranscrit partout ! Ils ont annoncé 8 milliards de chiffre d’affaires en 2020 au premier trimestre.
C’est le reflet de ces gros groupes qui s’enrichissent sur le dos des personnes qu’on exploite…
Et des dividendes reversés aux actionnaires.
Comment avez-vous tenu sur le plan financier ?
On a mis en place très rapidement une caisse de grève. Sur le piquet au rez-de-chaussée du magasin, on sollicitait les clients, on tractait, on discutait avec eux, c’était hyper intéressant. On faisait passer la caisse de grève et les gens étaient hyper généreux ! Je pense que la Fnac représente quelque chose pour les gens et il y en a qui nous ont donné un billet de 50 euros. C’était assez fou cette solidarité.
Et après évidemment il y a les militants. Les dons de la CGT ont été un vrai soutien, que ce soit de la confédération, ou des syndicats des autres Fnac, d’autres organisations syndicales et des collègues non-grévistes qui soutenaient pour nous remercier parce qu’ils savaient qu’on luttait aussi pour eux.
Un protocole a été signé avec des avancées, qui prouvent que par la lutte, les grèves, on arrive à faire changer les choses du coup. Quelle a été l’accord conclu avec la direction ?
On a eu quatre embauches, des intérimaires qui ont été CDisés. On est super contentE et eux aussi. Sur la fin, on a appris que le magasin d’Italie 2 fermait à cause d’un conflit avec le bailleur – il ne veut plus de la Fnac dans son centre commercial – et donc on a eu un engagement de reclassement des salariéEs dans les autres Fnac. On sait qu’on va avoir des collègues qui vont arriver. Donc ça n’avait plus de sens de continuer la grève.
Donc concrètement vous avez gagné des effectifs, et ça, à 15 grévistes.
On a fait des gros rassemblements où plus de monde est venu mais sur le noyau dur, sur les trois mois et demi de reconductible totale, on était une vingtaine. C’est aussi pour ça que ça a duré longtemps.
Les actions consistaient en quoi ?
On faisait des rassemblements devant la Fnac et puis on n’a plus eu le droit parce que la Fnac a appelé la Préfecture de police, qui nous a interdit le rassemblement. Ils nous ont mis dans une petite rue derrière, qui n’a rien à voir… On a fini par réussir à être en face mais on n’arrivait plus à être devant le magasin. Tenir ton piquet de grève aussi loin c’était compliqué mais il n’y a pas de surprise avec le préfet qu’on a en ce moment… Ce n’est pas une surprise qu’il n’aille pas dans le sens de ceux qui luttent.
On a donc organisé des rassemblements hyper festifs : on a écrit des chansons, revisité des chansons, parce que la lutte, ça doit être joyeux pour tenir !
Sur le piquet de grève des camarades de l’Ibis Batignolles, une grève de 40 femmes de chambre, de femmes uniquement, il y avait tout le temps de la musique, on dansait et on chantait.
Et elles déchiraient des papiers pour faire des confettis partout et faire la fête.
C’est assez inspirant, bravo pour tout ça. On espère que d’autres luttes vont arriver et les mouvements vont s’amplifier. Est-ce que vous êtes satisfaitEs, est-ce qu’il y a d’autres perspectives de lutte ?
On est satisfaitEs de ce qu’on a pu obtenir au nombre qu’on était. Maintenant on espère vraiment réussir à ce qu’il y ait plus de monde qui s’empare de la lutte, de ce mode de revendication. Parce qu’on sait que c’est ce qui fonctionne. Les représentantEs du personnel, en réunion avec la direction, on peut toujours attendre parce qu’on a peu de moyens, peu de possibilités. Le rapport de force n’est pas en notre faveur, et ça a été empiré par les réformes du Code du travail. Les salariés ont encore l’impression qu’on peut agir comme ça alors que le seul moyen est de s’unir, de dire stop, et en deux ou trois jours, si on est assez nombreux, la direction est obligée de t’écouter, elle ne peut plus juste te mépriser. Il faut un vrai rapport de force.
Sur les conditions de travail, on a une problématique dans énormément de magasins et de rayons. Les salaires sont super bas à la Fnac. La grille salariale est en train de passer en dessous du Smic ! Du coup ils nous ont remis une réunion parce qu’il va y avoir un problème… C’est fou pour une entreprise comme la Fnac, avec tout ce qu’elle empoche !
Il y a des luttes victorieuses dans le commerce : chez Gibert, ils ont déblayé à 80 % je crois des magasins et en trois jours c’était réglé. La lutte, ça fonctionne !
Propos recueillis par Diego Moustaki