Dans un rapport paru le 11 février, la DARES (direction du ministère du Travail chargée des études et de la statistique) a pointé le nombre particulièrement élevé de ruptures conventionnelles conclues en 2018 : 437 700, soit une hausse de 3,9 % par rapport à l’année précédente.
Le dispositif, créé en 2008 par un accord interprofessionnel signé par l’ensemble des confédérations syndicales, à l’exception de la CGT, permet à un employeur et à unE salariéE de mettre fin d’un « commun accord » à un contrat de travail à durée indéterminée. Le ou la salariéE reçoit en contrepartie une indemnité dont le montant est librement fixé par les parties, mais ne peut être inférieur à l’indemnité légale de licenciement.
Un « pied d’égalité » ?
Les amoureux du « dialogue social » voient dans l’utilisation croissante du dispositif la preuve que patrons et salariéEs peuvent négocier sur un pied d’égalité. D’autres à droite, comme le député LREM Sylvain Maillard, en dénoncent les dérives… au motif qu’il permettrait aux salariéEs de profiter trop facilement de l’assurance chômage !
La rupture conventionnelle est pourtant loin d’être une manne pour les salariéEs. Que notre député « marcheur » se rassure, Pôle emploi reprend souvent d’une main ce que le patron avait donné de l’autre. En effet, lorsque la rupture conventionnelle est assortie d’une indemnité plus importante que l’indemnité légale de licenciement, l’assurance chômage applique un délai de carence, qui peut atteindre plusieurs mois, avant de commencer ses versements. Et tant pis si l’indemnité supra légale venait en réalité compenser un préjudice subi par unE salariéE pendant l’exécution de son contrat. Mais surtout, très peu de salariéEs ont réellement la possibilité de « négocier » leur départ avec leur employeur. Un précédent rapport de la DARES, publié en 2015, pointait le fait que les cadres sont les seuls à percevoir de manière généralisée des indemnités de rupture conventionnelle significativement supérieures aux indemnités légales.
Durcissement du travail
Comment expliquer dans ces conditions que la progression la plus forte des ruptures conventionnelles en 2018 ait été enregistrée chez les employéEs ? Il faut pour cela s’interroger sur les « motivations » des salariéEs qui y ont recours. Loin du cliché des salariéEs épanouiEs et acteurEs de leur mobilité professionnelle, la DARES a établi en 2013 que 30 % de celles et ceux qui concluent une rupture conventionnelle estiment y avoir été forcés par leur patron. D’ailleurs si le nombre de ruptures conventionnelles n’a cessé de croître depuis 2009, les licenciements économiques ont quant à eux connu une chute libre.
Plus encore : invités à donner une ou plusieurs raisons ayant conduit à la rupture de leur contrat, 46 % des salariéEs pointaient une mésentente avec leur chef, et 65 % une insatisfaction liée à leur emploi ! Des motifs bien plus fréquemment cités que la conduite d’un projet professionnel ou personnel.
Le recours croissant à la rupture conventionnelle cache donc un durcissement du travail et des formes de l’exploitation capitaliste. Au point que nombre de salariéEs préfèrent quitter l’entreprise même sans perspective prochaine de retrouver un emploi…
Simon Picou