Après avoir été adoptée en force en avril dernier à l’Assemblée nationale via le recours à l’article 49-3 de la Constitution, la loi Macron a été votée le 12 mai par le Sénat puis de nouveau adoptée, toujours par l’emploi du 49-3, à l’Assemblée le 16 juin dès, fait inédit, le début de sa seconde lecture. La « loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », c’est désormais cent quinze articles, dix-neuf ordonnances et autant de régressions à venir.
Pour Brecht, « dans toute idée, il faut chercher à qui elle va et de qui elle vient ; alors seulement on comprend son efficacité. » Quel lien peut-donc unir l’extension du travail de nuit et du dimanche, l’abaissement des moyens de défense des travailleurs, la marchandisation du sang, les privatisations d’aéroports et l’octroi d’actions gratuites contenues dans la dite loi ? Réponse : satisfaire les injonctions de la commission européenne pour qui la France doit rattraper son retard en matière de réformes structurelles et accentuer la politique pro-business menée par le gouvernement, notemment via l’ANI et le Pacte de compétitivité.
Une riposte inédite
Passage de cinq à douze dimanches annuels d’ouverture, création par les ministres compétents, (en passant y compris outre l’accord du maire concerné), de zones touristiques internationales qui pourront ouvrir cinquante-deux dimanches par an, tout comme les grandes gares, et ce jusqu’à minuit, facilitation du classement des centres commerciaux en zones commerciales pour pouvoir ouvrir toute l’année : voici les dispositions tant décriées relatives au travail dominical et nocturne inscrites dans la loi Macron. Outre le fait qu’elles constituent une négation complète des engagements du PS dans l’opposition et du candidat Hollande, elles ouvrent la voie à une généralisation rapide du travail dominical et nocturne qui, à terme, nous mènera à la société 24/7 dont rêvent les capitalistes.
Le CLIC-P, cadre intersyndical implanté sur Paris, mène la riposte : les 14 novembre et 16 décembre 2014, ce sont deux à trois mille salarié-e-s du commerce, issus des grands magasins dont de nombreux démonstrateurs, de la parfumerie, de l’habillement et de la grande distribution, qui ont fait grève et manifesté. L’importance de ces mouvements, à l’échelle de ce secteur, n’est pas étrangère au refus de la mairie de Paris de soutenir l’extension des ouvertures voulue par le gouvernement.
Le Sénat, dominé lui par la droite, a sans surprise durci les dispositions en question en étendant le travail en soirée aux zones touristiques existantes et en instaurant le recours au référendum en l’absence d’accord syndical permettant l’ouverture dominicale : la même politique somme toute, mais à un degré plus élevé. Plus encore, un amendement, voté conjointement par la droite et les socialistes, autorise l’ouverture permanente de droit des commerces de biens culturels, c’est-à-dire sans volontariat, ni compensation !
Une interprofessionnalisation à la peine
On peut affirmer que c’est la persistance de la mobilisation, dans un secteur pourtant faiblement organisé, qui a conduit plusieurs unions régionales syndicales franciliennes à organiser une manifestation le 26 janvier dernier au moment de l’examen de la loi Macron par l’Assemblée. De même pour la journée de mobilisation interprofessionnelle du 9 avril où, à cette occasion, les fédérations CGT et FO du commerce, respectivement première et troisième organisations de la branche, ainsi que la nouvelle fédération SUD Commerce, ont lancé un appel commun qui a permis une extension limitée de la mobilisation en régions.
En raison de la décision, en particulier de la CGT, de renvoyer toute nouvelle action interprofessionnelle, seule à même de la bloquer l’adoption de cette loi, au 8 octobre, le CLIC-P, parfois rejoint par la CNT-SO et FO, a continué à porter seul la contestation. Pas moins de quatre rassemblements ont eu lieu depuis mai dernier, marqués entre autre par la participation de centaines d’employé-e-s de magasins de biens culturels.
Pour gagner le retrait de cette loi, il aurait fallu un mouvement du type de celui du CPE ou des retraites en 2010, (ce que le succès du 9 avril n’a pas permis d’impulser), ou bien une grève reconductible dans le secteur, sans doute autour des grands magasins parisiens, ce que la force de la grève du 29 mai dernier dans les magasins Fnac, qui a abouti au retrait de l’amendement généralisant le travail dominical en librairie, esquisse.
Une mise en œuvre semée d’obstacles
Cette agitation a aussi permis de revenir sur les dispositions durcies par le Sénat. Le volontariat mis en avant par le ministre est un leurre : outre le lien de subordination consubstantiel à toute relation de travail, les exemples de volontariat plus ou moins forcé, à commencer par la faiblesse des salaires, abondent dans les entreprises comme dans les permanences syndicales.
Quant aux compensations promises, y compris salariales, elles seront fonction des rapports de forces entreprise par entreprise puisque la loi prévoit néanmoins la nécessité d’avoir, sous deux ans, un accord syndical majoritaire pour pouvoir ouvrir chaque dimanche (le dit accord peut être trouvé à différents niveaux de négociation voire même, dans les entreprises de moins de onze salarié-e-s, passer par référendum).
La loi Macron, après un ultime passage au Sénat, a été définitivement adoptée au forceps le 9 juillet via l’utilisation, pour la troisième et dernière fois, du 49-3 : vous avez dit démocratie ?
« Nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à aucune d’entre elles, car de chacune nous tirons une part de notre force et notre lucidité », écrivait Rosa Luxemburg. Tant au sein du CLIC-P que des équipes militantes opposées à ces ouvertures, l’expérience et la solidarité ainsi accumulées conduiront, à n’en pas douter, à des blocages, sur le plan juridique comme social, de ces dernières.
Ainsi, le fait que le conseil constitutionnel ait censuré, le 5 août dernier, le plafonnement des indemnités prud’homales versées suite à un licenciement abusif, une disposition ajoutée à la dernière minute par le gouvernement, est encourageant quant aux recours à venir devant cette juridiction ainsi que ceux devant le conseil d’Etat mais aussi sur un plan supranational, via l’OIT qui avait proclamé l’illégalité du Contrat nouvelle embauche en 2007.
Laurent Degousée
Le CLIC-P, l’intersyndicale qui fait peur aux patrons
Créé en 2010, le Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris regroupe, en 2015, les syndicats CFDT, CGT, SUD et UNSA parisiens ou franciliens du commerce (FO, sur une ligne d’auto-affirmation, l’a quitté en 2013 tout comme la CGC, la CFTC ayant été désaffiliée par sa centrale car jugée trop véhémente et ayant rejoint depuis l’UNSA). Sa création partait du constat que ce qui rapproche ces structures est plus fort que ce qui les divise et tenait compte du taux de syndicalisation très faible dans le commerce (2 %), un obstacle pour répondre à la violence des attaques des patrons de ce secteur.
Après plusieurs assemblées générales avec les militant-e-s respectifs des différentes organisations, une plate-forme commune a été adoptée : pas d’ouverture avant 9 heures, pas de fermeture après 19h30, pas d’extension du travail dominical, refus du temps partiel imposé et 200 euros minimum d’augmentation pour tous.
Le CLIC-P a fait vivre ce programme à travers l’organisation de plusieurs manifestations, dont une le premier jour des soldes, mais également de nombreux procès qui sont devenus sa marque de fabrique : d’abord face aux supérettes parisiennes qui bafouent le repos dominical et ouvrent 7 jours sur 7, puis sur le travail de nuit avec Apple, les grands magasins, Uniqlo, Monoprix et surtout Sephora, ce qui a donné lieu à une âpre bataille juridique et médiatique ; ainsi que, plus récemment, contre l’ouverture dominicale illégale d’American Apparel ou des commerces de Bercy Village (un travail commun avec l’Inspection du travail étant également à l’œuvre).
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