Le mouvement féministe connaît un renouveau sur la scène internationale, en particulier en Amérique latine mais aussi en Europe, caractérisé par son auto-organisation (assemblées générales de quartiers et de ville) et ses moyens d’action, notamment la grève.
Ce mouvement n’est pas près de s’essouffler : le 24 novembre, ce sont 200 000 personnes qui ont défilé en Italie à l’appel de Non Una Di Meno, pour leurs droits et contre le gouvernement Salvini. En France, le mouvement féministe divisé depuis longtemps peinait à rassembler, malgré quelques tentatives. Samedi, à l’appel de « Nous Toutes », ce sont entre 12 000 et 30 000 personnes qui se sont rassemblées à Paris, et 50 000 partout en France selon les organisatrices. Cette mobilisation se place dans la lignée de la manifestation du 25 novembre 1995, moment précurseur du grand mouvement de grève de l’hiver 1995. C’est assurément une des plus grosses manifestations féministes depuis dix ans.
Nous Toutes : la recette du succès ?
Nous Toutes a été lancé par Caroline de Haas, avec d’autres militantes féministes, des organisations faisant partie du CNDF, et quelques militantes issues du féminisme non institutionnel. Le mot d’ordre était simple, il ne fallait pas reproduire les débats du mouvement féministe à l’infini. Nous Toutes ne trancherait donc pas la question du voile ni la question de la prostitution, pour mettre tout le monde autour de la table contre les violences sexistes.
Dans la réalité, l’unité n’a pas tenu jusqu’au bout, et un groupe d’associations féministes a lancé l’appel « Nous Aussi », qui a donné lieu à un cortège situé à l’avant de la manifestation parisienne. Dans de nombreuses villes, les clivages sont réapparus, se soldant ou pas par une division des manifestations en fonction du travail de convergence réalisé au cours des années précédentes.
Du côté du NPA, nous avons accepté de prendre part à Nous Toutes, non sans critique. Si nous trouvions positif d’éviter la division, plusieurs problèmes se sont posés et il s’agit maintenant de les résoudre. Le premier élément est l’impossibilité de l’auto-organisation. La réalité des comités locaux a différé selon les régions : en région parisienne, ils n’ont eu presque aucune réalité, mais dans les autres villes, les comités locaux étaient de fait les bras propagandistes de Nous Toutes et non des lieux de formation, de discussion et de production féministes. Il n’était question que de construire la manifestation du 24 novembre, jamais n’était évoqué l’objectif de relancer une dynamique féministe qui aille au-delà. Mais dans les villes où il existait déjà des cadres d’organisation des mobilisations féministes, ceux-ci n’ont pas disparu et ont coexisté avec les personnes se rassemblant autour de Nous toutes, avec la rencontre de différentes générations militantes.
L’autre problème résidait dans la stratégie, et dans le positionnement de Nous Toutes par rapport au gouvernement. Malgré plusieurs questionnements au sujet de la grève des femmes ou de l’attitude vis-à-vis du gouvernement Macron, il y a eu un refus d’y répondre, pour ne pas « diviser » sur cette question. Dans la pratique, c’est dans l’autre sens que Nous Toutes a tranché, aussi nous avons été désagréablement surprises que Nous Toutes se pose la question de rencontrer Marlène Schiappa avant même la manifestation, alors qu’il n’y avait toujours pas d’accord sur les revendications ou que l’intervention de Caroline de Haas se termine sur un appel à Macron sans perspectives.
50 000 et maintenant ?
Cette mobilisation est une victoire, mais elle ne suffira pas pour mettre fin aux violences sexistes qui sont systémiques. Le gouvernement Macron ne lâchera rien. Maintenant il s’agit, dans l’ensemble des villes, dans les entreprises, dans les universités, dans les lycées… de préparer la suite, pour reconstruire un mouvement féministe qui se pose la question de ses revendications (contre les violences, pour l’égalité salariale, le partage des tâches domestiques…) et de ses moyens d’action. Les 5 millions de grévistes de l’État espagnol le 8 mars dernier, les mouvements des femmes d’Amérique latine, celui des femmes de Pologne pour la défense de l’IVG ont mis à l’ordre du jour la construction de la grève massive et auto-organisée. C’est par un rapport de forces que nous pourrons inverser l’ordre des choses. Dans cette période où la révolte gronde et prend des chemins qui ne sont pas habituels, nous devons travailler à unifier toutes les résistances. Il s’agit de faire converger les revendications féministes, antiracistes et sociales, portées aujourd’hui tant par les manifestations du 24 novembre, que par le collectif Rosa Parks le 1er décembre ou, de manière hétérogène, par les gilets jaunes. L’heure n’est pas à opposer ces mouvements mais à reconstruire l’unité de notre camp social contre le capitalisme et le patriarcat.
Commission nationale d’intervention féministe