Dans la foulée du vote à 70% pour la légalisation de l’avortement en Irlande et en pleine campagne en Argentine, c’est un très profond mouvement de contestation, une véritable « vague féministe » qui déferle sur le Chili depuis le mois de mai, certainEs parlant d’un « Mai 68 féministe ».
Tout a commencé avec deux agressions de plus, un professeur de l’université de Valdivia se rendant coupable de harcèlement, et un ex-président du Tribunal constitutionnel agressant sexuellement une jeune contractuelle. L’administration s’est contentée alors de le changer de poste. Après des propos du ministre de l’Éducation de droite avouant de « petites humiliations et discriminations » touchant les femmes, cela a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Oppression généralisée
Aussitôt, une AG de femmes a été convoquée (par la suite ouverte à tous) qui a décidé d’occuper la fac jusqu’à obtention d’un règlement interdisant de telles pratiques. Ces dernières sont très courantes dans un pays dans lequel les hommes sont encore légalement les maîtres du foyer, où l’adultère n’a été dépénalisé qu’en 1994 et où récemment 34 évêques ont dû démissionner tant il était avéré qu’ils avaient abusé de femmes et d’enfants, même après avoir eu le soutien du Pape François au début de l’année… Un pays comme bien d’autres où les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes mais payent le double en mutuelle de santé quand elles sont, comme il est dit, « en âge fertile », un pays où on enregistre un délit sexuel toutes les 17 minutes et 65 agressions sexuelles par jour.
L’avortement n’y a été dépénalisé que l’an dernier, sous la pression du mouvement féministe et lors de la deuxième mandature de la socialiste Michelle Bachelet, dont on ne peut donc dire qu’elle a été à la pointe du combat. Une dépénalisation d’ailleurs très relative. D’abord car, selon cette loi, les femmes ne peuvent avorter que dans trois cas : viol, risque pour la survie de la femme et malformation du fœtus, ce qui signifie que l’avortement demeure encore quasiment interdit comme dans tous les pays d’Amérique latine à l’exception de l’Uruguay. De plus, par le biais de la dite « objection de conscience » les médecins et des cliniques entières, dont la plus grande du pays, celle de l’université catholique du Chili, peuvent refuser de pratiquer les avortements. L’actuel gouvernement de droite du Sarkozy chilien, Piñera, cherche d’ailleurs à redonner des subventions d’État aux associations privées souvent proches de l’Église qui refusent l’avortement.
Vague de fond de contestation démocratique et sociale
L’un des slogans du mouvement, qui a fait tache d’huile dans tout le pays où, le 6 juin, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté et où, à ce jour, des dizaines de facs sont occupées est : « Nous sommes toutes victimes de la précarisation, étudiantes, migrantes, mères et travailleuses, dans la rue » !
En effet, le mouvement conteste bien au-delà des violences faites aux femmes. Il s’est développé contre l’apathie et le silence complice des partis de gauche d’opposition au gouvernement, mais aussi du syndicat CUT dirigé par le PC. Il a dès le début fait le lien entre, d’une part, les violences et l’oppression subie par les femmes et, d’autre part, leur situation sociale. Par exemple, l’AG de l’université catholique a levé l’occupation en ayant obtenu des garanties sur le versement de salaires non payés et du droit de grève pour les contractuelles en déclarant : « Ne baissez pas les bras, continuez le combat pour une nouvelle société féministe avec perspective de classe, c’est le moment ».
Et pour s’élargir, le mouvement, essentiellement étudiant, en appelle également aux lycéenEs, aux syndicats et aux associations.
Mónica Casanova