La tribune défendant « le droit à la liberté d’importuner indispensable à la liberté sexuelle », parue dans le Monde le 9 janvier, est l’une des plus récentes expressions de la contre-offensive réactionnaire face à #MeToo.
Au-delà de son contenu, le plus choquant dans le texte publié par le Monde, c’est que plus de 100 femmes, dont des artistes et des intellectuelles, se soient mises du côté des dominants, des hommes agresseurs, du système patriarcal.
Ces femmes défendent un camp social
La preuve que les femmes ne sont pas toutes féministes, mais surtout la preuve que dans le groupe social composé par les femmes certaines pensent avoir intérêt à conserver ce système politique. Car nous ne pouvons ignorer qui sont les signataires : dans leur grande majorité des petites-bourgeoises blanches dont beaucoup se trouvent dans les sphères de pouvoir médiatique et intellectuel. Nous ne pouvons pas ignorer non plus qu’elles nous demandent de choisir une forme de patriarcat plutôt qu’une autre. C’est en ce sens qu’il faut comprendre cette phrase : « Cette fièvre à envoyer les "porcs" à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux ».
Au-delà de la classe à laquelle elles appartiennent, il s’agit aussi de comprendre la politique qui est ainsi légitimée : certaines signataires défendent la réaction depuis de nombreuses années, à l’instar d’Élisabeth Lévy.
La défense de l’hétéronormativité
Il y a une confusion notoire dans la tribune, que l’on a beaucoup entendue par ailleurs, y compris dans nos milieux : les hommes auraient peur de draguer, il faudrait faire attention à ne pas les brimer. C’est autour de la défense de la drague, de l’amour, de la liberté sexuelle, qu’est construite cette tribune. Mais contrairement à ce qu’avance ce texte, il n’y a rien de sauvage dans les relations sexuelles/amoureuses/affectives : les sociétés humaines sont construites. D’ailleurs les « pulsions animales » n’ont jamais l’air de concerner les femmes… Cette défense de la liberté sexuelle contre une pseudo-morale victorienne est en fait une défense de l’hétéronormativité et de ses rapports de domination. C’est postuler le droit pour les hommes de poser leur main sur les genoux d’une femme. Est-ce que MeToo présente un risque pour la liberté des hommes de harceler, d’agresser, de violenter, de violer ? S’agit-il de brimer les hommes qui veulent nous forcer à entrer dans une relation sexualisée dont nous ne voulons pas ? Oui, cent fois oui. Et nous l’assumons.
La liberté des dominants
Au fond, c’est toujours la même rhétorique : il faut défendre la liberté d’importuner des dominants, de caricaturer les dominéEs, de blaguer contre celles et ceux qui subissent l’oppression. La prétendue censure est un mythe. La grande majorité des films, des écrits, de la production culturelle est un vecteur de l’idéologie dominante, de l’idéologie de classe, patriarcale et raciste. Dans cette rhétorique, il s’agit toujours de défendre les dominants, mais jamais celles et ceux qui subissent. Nous assumons de défendre les dominéEs, les oppriméEs, les exploitéEs, celles et ceux qui n’ont pas leur place dans les livres d’histoire, celles et ceux qui sont invisibles, celles et ceux dont on n’écoute pas la voix. Nous assumons de vouloir créer un rapport de forces pour changer de système. Nous défendons la liberté d’importuner. D’importuner les dominants, d’importuner le patriarcat, d’importuner la classe bourgeoise. Et même de renverser ce système pour créer une société d’émancipation, où chacunE pourra s’épanouir.
Mim Effe