De façon massive (66,4% contre 33,6%) les IrlandaisEs ont voté oui à l’abrogation de la clause de la Constitution (le 8e amendement) qui disait que la vie d’un fœtus était aussi importante que la vie de la femme. Cet amendement était le résultat d’un référendum populaire en 1983 : beaucoup se sont déjà battues et ont attendu cette victoire depuis longtemps.
Il y eu des étapes dans l’évolution de cette Irlande profondément catholique, où 90 % de la population assistait régulièrement à la messe. Le divorce, puis le mariage entre deux personnes du même sexe ont été approuvés par vote populaire (en 1995 et 2015 respectivement). Il y a eu les scandales sur la pédophilie au sein de l’Église, et sur le traitement des jeunes mères non mariées dans les « Magdalene laundries » gérées par les ordres religieux catholiques. En ce qui concerne l’avortement, la mort de Savita Halappanavar en 2012, une dentiste indienne à qui on refusait l’IVG qui lui aurait sauvé la vie, sous prétexte que le cœur du fœtus battait, a marqué un tournant. Depuis 2013 quelque 25 avortements par an ont pu avoir lieu en Irlande, pendant que dix femmes par jour continuaient à partir en Grande-Bretagne pour se faire avorter et quatre autres commandaient les médicaments par internet.
Forte mobilisation
Le vote « oui » a été majoritaire dans tous les secteurs de la population sauf parmi les plus âgées (plus de 65 ans) et dans une seule circonscription, le Donegal dans le nord-ouest. Dans toutes les autres circonscriptions le « oui » a obtenu au moins 55 %, jusqu’à 78 % dans une des circonscriptions de Dublin. La campagne pour le « oui » a mobilisé très largement dans la société irlandaise, avec des coalitions larges d’associations, de partis et de syndicats organisant des réunions, des affichages, du porte-à-porte partout dans le pays. Et les IrlandaisES à l’étranger éligibles pour voter (absents depuis moins de 18 mois) ont également entrepris des longs voyages pour revenir voter oui – de l’Australie, du Canada, de Singapour, proposant parfois, quand ils ou elles ne pouvaient pas voyager, d’aider quelqu’un d’autre pour aller voter oui. Les IrlandaisEs sont en outre très massivement venus de Grande-Bretagne où le Syndicat national des étudiants (NUS) et des syndicats d’étudiantEs de certaines universités (par exemple Oxford) ont aidé à financer les voyages pour celles et ceux qui voulaient retourner voter.
Une législation en positif
Il faut maintenant une législation en positif. L’engagement du gouvernement, suivant la recommandation du comité parlementaire qui s’est penché sur la question, est de légaliser l’IVG à la demande de la femme jusqu’à 12 semaines, et pour raisons médicales jusqu’à 24 semaines. Cette proposition faisait partie du débat pendant la campagne et, même si elle était moins plébiscitée que l’abrogation, elle n’a pas été un obstacle au « yes » massif.
Le Premier ministre et son ministre de la Santé ont promis d’introduire la loi au Parlement dans les six mois. Il faudra aussi que les moyens suivent et qu’une clause de conscience pour les professionnels de la santé ne devienne pas un obstacle à l’accès à l’IVG pour les femmes. Il faudra également que les TD (membres du Parlement), qui auront un vote libre sur la législation, respectent les vœux de l’électorat. Le leader de Fianna Fáil, Micheál Martin, dont plusieurs des parlementaires, et une grande partie de son électorat, ont soutenu le non, a demandé à ses TDs de respecter le vote populaire.
Du côté du Nord…
Les yeux des Irlandaises se tournent maintenant vers le nord, les six comtés qui font toujours partie du Royaume-Uni, mais où la loi de 1967 libéralisant l’accès à l’avortement n’a jamais été appliquée. Donc les Irlandaises du Nord sont également obligées de faire le voyage vers l’Écosse ou l’Angleterre pour pouvoir pratiquer une IVG.
Ce blocage concernant l’IVG est venu historiquement aussi bien de l’Église catholique que des protestants intégristes qui dominent le parti le plus important, le Democratic Unionist Party (DUP). Aujourd’hui ce sont les dix parlementaires du DUP élus à Westminster qui permettent la survie du gouvernement de Theresa May. La ministre de l’Égalité et des Droits des femmes du gouvernement May, et ses trois prédécesseurs, demandent que le Parlement de Westminster vote maintenant l’extension de la loi de 1967 à l’Irlande du Nord, une proposition refusée par le DUP et par May. Les Irlandaises seront peut-être à l’origine de la prochaine crise du gouvernement britannique.
Penelope Duggan