Malgré les 62 % de l’ANC, pas de cris de victoire, pas de grandes fêtes spontanées dans les townships au moment de la proclamation des résultats du scrutin législatif sud-africain. À l’image de Jacob Zuma, qui a « modestement » remercié les électeurs d’avoir porté une nouvelle fois son parti au pouvoir, le ton des commentaires de presse ce lundi est empreint soit de nostalgie à la limite de la déception pour Daily Maverick (l’équivalent de Mediapart), soit de recadrage directif dans Business Day qui exhorte l’ANC à « rapidement renouer la confiance avec les investisseurs »...
En ce lendemain d’élections, l’heure est aux interrogations sur le succès électoral de l’ANC, qui, paradoxalement, est analysé par certains comme n’étant pas celui de Jacob Zuma.
Un nouveau mandat pour quoi faire ? Ces interrogations sont justifiées par le bilan des 4 présidences de l’ANC depuis son avènement en 1994. Après 20 ans de pouvoir exclusif, la déception est manifeste, voire, dans ces dernières années, bruyante. Les grèves, notamment dans le secteur minier, sont de plus en plus dures et les affrontements dans les townships, qu’ils soient ruraux ou proches des grands centres urbains, sont quotidiens. Une seule revendication, le pouvoir d’achat et la redistribution, plus généralement le respect de l’unique slogan de l’ANC : « For a better life » (« Pour une vie meilleure »). L’ANC n’aborde pas ce nouveau mandat au meilleur de sa forme. La division au sein de sa direction est à la hauteur des enjeux. La destitution « soft » de Thabo Mbeki en 2008 qui a conduit à l’élection de Jacob Zuma et les soupçons de corruption et de mal-gouvernance qui éclaboussent aujourd’hui ce dernier ont pesés lourdement sur la campagne électorale. Le parti a fait corps autour de son candidat mais à son corps défendant, à l’image de ses électeurs. Un sondage révélait avant le scrutin que 51 % des électeurs potentiels de l’ANC ne souhaitaient pas la reconduction de Zuma. Au seuil de ce nouveau mandat, l’ANC se trouve devant l’éternelle alternative : établir la confiance des travailleurs et maintenir celle des milieux d’affaires et des investisseurs.
Une redistribution des rapports de forces sociaux ? C’est ainsi que le tout jeune parti EFF (Economic Freedom Fighter) dont le dirigeant, Julius Malema, a été exclu de l’ANC et de son organisation de jeunesse (ANCYL) en février 2012, analyse son succès électoral. Après tout juste un an d’existence, son score, 6,2 %, le place en troisième position. Ce n’est pas un cas unique dans l’histoire électorale de l’Afrique du Sud démocratique : en 2009, un nouveau parti, le COPE, également formé par d’anciens dirigeants de l’ANC, avait obtenu un score plus important… pour ne pratiquement pas survivre en 2014. La différence entre COPE et EFF est décisive, alors que les premiers ne sont apparus que comme une rivalité d’intérêts d’appareil, EFF s’est construit et a gagné son audience en lien avec le mouvement ouvrier. Julius Malema a fait du massacre des 34 mineurs grévistes de la compagnie minière Lomnin à Marikana, en août 2012, le point de rupture avec l’ANC, et son soutien total au syndicat AMCU (Association of Mineworkers and Construction Union) qui vient de se constituer en opposition avec le traditionnel NUM (National Union of Mineworkers), un des piliers de la confédération syndicale Cosatu et puissant allié de l’ANC.
Une triple alliance gouvernementale fragiliséeLa stratégie politique de l’ANC depuis la lutte contre l’apartheid et ses conséquences électorales depuis 1994, a reposé sur son alliance avec le Parti communiste et la confédération syndicale Cosatu. La constitution de cette dernière pendant la lutte a été l’élément décisif de la victoire et ce fut l’intelligence et la clairvoyance politique des dirigeants ANC de l’époque que de faire du syndicat et de la classe ouvrière le centre de la lutte. Le mandat de Jacob Zuma, les grèves dures dans les mines, les scandales financiers, le fossé social qui ne cesse de s’approfondir ont mis à mal cette stratégie d’union au sommet. À tous les congrès de Cosatu, la question de l’indépendance du syndicat vis-à-vis du pouvoir politique a été posée sans aboutir. L’année dernière, la décision d’écarter Zwelinzima Vavi, secrétaire général confédéral, sur un mode très stalinien a divisé toutes les instances du sommet à la base et justifié le rejet par la fédération des métallurgistes (NUMSA) du soutien inconditionnel de Cosatu à l’ANC. Ce nouveau mandat laisse présager pour l’ANC une période mouvementée pendant laquelle il lui sera difficile de maintenir son statut de mouvement unificateur. La pression des luttes sociales pourrait s’avérer plus lourde à gérer que durant ces 20 dernières années, en raison, notamment, de la diversité syndicale et politique. L’Afrique du Sud pourrait connaître un vrai débat d’orientation et non plus une unité factice autour d’intérêts d’appareils.
Anne Dissez