Durant les espaces publicitaires à la télévision argentine, nous avons droit à un fabuleux montage des différentes interventions des chefs d’États qui soutiennent l’Argentine dans le paiement de sa dette extérieure : le Mexique et son gouvernement ultra-répressif, le Paraguay et le Honduras avec leurs gouvernements issus de coups d’État, ou encore la Colombie avec son gouvernement de droite. L’Argentine de Christina Kirchner se complaît dans ce soutien, cette solidarité sud-américaine, et ne pose en aucun cas la question d’un système économique qui ne fonctionne pas...
Dans cette situation difficile où les forces de la gauche ont pourtant récupéré de nombreuses voix de la population déçue du gouvernement (1,2 millions de voix en tout pour le FIT – Frente de izquierda y de los trabajadores) au dernier scrutin, la gauche anticapitaliste argentine appelle à un référendum sur la dette. Pourtant, la question qui se pose ici n’est pas un problème de démocratie mais bien de soumission de l’Argentine à l’impérialisme des banques américaines et européennes.
Payer la dette : un peu, beaucoup...L’Argentine avait trouvé un accord avec différents créanciers pour ne pas payer complètement cette dette en 2005 et 2010 par le biais d’une remise de dette de 70 %. Fin 2013, la cour suprême américaine a refusé d’examiner la dette de l’Argentine, après que deux fonds spéculatifs aient poursuivi en justice le gouvernement argentin. Ce dernier a fait appel, mais la situation actuelle pourrait l’amener à un défaut de paiement, ce qui lui rappellerait la crise de 2001. Si l’Argentine se trouve en situation de défaut de paiement fin juillet, le peso sera à nouveau dévalué. Alors que le taux de change officiel était d’un euro pour 6 pesos (AR $) il y a quatre ans, il est aujourd’hui d’un pour 10, et s’échange même dans la rue contre 16 pesos... Et si le pays était conduit à payer l’entièreté de ses dettes à ces fonds spéculatifs (ceux qui ont refusé de négocier le paiement de la dette et souhaitent recevoir les 100 % du remboursement), elle devra mettre à contribution ses ressources au détriment, encore une fois, de l’éducation, de la santé et des transports publics. Alors que l’inflation a été de près de 30 % en 2013, et que les salaires n’ont pas suivi cette augmentation, les tarifs des transports en commun augmentent encore – comme au Brésil, et les salaires et les conditions d’étude à l’université de Buenos Aires font l’objet d’un mouvement associant professeurEs et étudiantEs, des plans de licenciements sont en route… Résistances et répressionÀ quelques kilomètres de la capitale fédérale, l’entreprise Lear est une sous-traitante dans l’automobile qui, en plus de mettre à la porte une centaine de salariés, en suspend illégalement d’autres qui mènent la lutte syndicale. Lors d’une manifestation ce mardi 8 juillet devant cette entreprise, nous étions des centaines dès 5 h du matin, les soutiens venant de l’UBA – l’université de Buenos Aires, de différentes organisations d’extrême gauche, pendant qu’un autre rassemblement avait lieu à Emfer, une autre entreprise en lutte dans la province de Buenos Aires. Ces deux rassemblements ont subi une violente répression qui a blessé des dizaines de personnes, dont certaines ont été reçues à l’hôpital de Buenos Aires. Ce gouvernement qui dit « défendre le peuple et les droits de l’homme » pouvait compter sur les médias pour ne parler que de la coupe du monde de football. La défaite de l’Argentine en finale pourra peut-être éviter l’euphorie sportive qui tend à faire oublier trop vite cette crise...
Vers la banqueroute ?Les forces politiques qui apportent un « soutien critique » au gouvernement Kirchner, tel que par exemple le Front de gauche en France, restent dans cette perpétuelle contradiction : soutenir un gouvernement lui-même soutenu par des personnalités de droite concernant le paiement de sa dette sans remettre en cause celle-ci. De même, les militantEs péronistes du Front pour la victoire collent des affiches et écrivent sur les murs des grandes villes pour dénoncer les « buitres », les « vautours » de la finance, en référence aux 7 % de créanciers n’ayant pas accepté les accords de renégociation. Pourtant, défendre la population ne peut se faire en payant la dette. L’application de plans d’austérité n’est qu’une preuve de plus que ce système ne nourrit que les entreprises capitalistes, majoritairement européennes et américaines. Négocier le paiement de la dette, c’est faire le jeu des banques et les conséquences finales ne sont qu’une banqueroute pour le pays et une aggravation des conditions de vie pour la population argentine.
De Buenos Aires, Solen Febe