Au cours des derniers mois, l’intense guerre menée contre la direction de gauche du Parti travailliste depuis trois ans s’est portée sur le front de l’antisémitisme, que Corbyn est désormais censé avoir déchaîné dans la société britannique tout entière.
Les trois journaux juifs britanniques (The Jewish Chronicle, Jewish News et le Jewish Telegraph) ont notamment publié un éditorial commun annonçant qu’un gouvernement conduit par Corbyn représenterait rien moins qu’« une menace existentielle pour les juifs de Grande-Bretagne », dès lors que les condamnations de la politique de l’État d’Israël devaient invariablement signifier une hostilité congénitale envers les juifs.
La folie de ce genre d’imputation n’est pas nouvelle, et prend le risque considérable de traiter avec un opportunisme et une légèreté coupables l’horreur des persécutions et de l’extermination nazies. Elle s’aggrave en outre de l’amalgame chronique qui voudrait rendre tous les juifs, où qu’ils se trouvent, comptables de facto d’une politique israélienne annexionniste sous protection trumpiste.
Pression et chantage
La récente séquence, lancée courant mars 2018, a conduit à la focalisation sur l’adoption, dans le règlement intérieur du Labour britannique, de la définition de l’antisémitisme formulée dans un document de travail de l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste). La droite du parti travailliste en exigeait l’adoption dans son intégralité, et donc à l’inclusion des exemples de manifestation d’antisémitisme que constituerait la critique de la politique israélienne et du projet sioniste – pourtant si controversés à l’heure de la « loi sur l’État nation du peuple juif », des annexions et des massacres sur les populations gazaouies, entre autres.
Après des semaines de pression et de chantage d’une virulence exceptionnelle, appuyés sur des spéculations sémantiques toujours plus fébriles sur tel segment de phrase, tel tweet ou photographie (le corpus est décidément maigre), le comité exécutif national du parti, pourtant majoritairement pro-Corbyn, a finalement adopté la définition de l’IHRA dans son entièreté le 4 septembre.
Le fond de l’affaire est simple : la possibilité, maintenant bien réelle, qu’une des premières puissances au monde voit arriver au pouvoir un défenseur historique de la campagne BDS, est un cauchemar pour le pouvoir israélien et ses divers soutiens et alliés. Contrairement à ce que rapporte une partie de la presse française depuis quelques jours, ce n’est pas une controverse sur l’antisémitisme qui se serait emparé du Labour : c’est, tout à fait à l’inverse, une petite fraction du labour parlementaire inconditionnellement pro-sioniste qui est prise de panique depuis que les sondages (mi-juillet) donnent quatre à cinq points d’avance au Labour de Corbyn sur les conservateurs. L’angoisse profonde n’est plus de perdre les élections, mais bien de les gagner !
Norme réactionnaire et xénophobe
La campagne diffamatoire de proportion industrielle contre la gauche travailliste (avec la collaboration très active de la BBC et du Guardian) est elle-même le symptôme d’une norme réactionnaire et xénophobe en formation à échelle européenne, dont l’extrême droite pro-israélienne offre le terrain de convergence consensuelle aujourd’hui : la communion générale dans l’islamophobie et contre tout ce qui pourrait contrarier cette belle unité, à commencer par tous les juifs qui refusent l’injonction à soutenir la politique israélienne.
Pour une note plus positive, la virulence de l’assaut anti-Corbyn reste aussi un aveu d’impuissance face à l’audience de masse de la gauche en Grande-Bretagne. Nous pouvons (et devons) longuement débattre sur ce qu’incarne, en fin de compte, Corbyn. Il demeure, cependant, qu’en ce qui concerne ses adversaires, les choses paraissent claires depuis le début : Corbyn est le nom d’une menace grave à noyer d’urgence dans un vacarme d’effrois et -d’indignations fabriquées.
Thierry Labica