Le 18 mai a eu lieu le 1er tour des élections municipales et régionales, « tour de chauffe » avant le 25 mai où auront lieu et le 2ème tour et les élections européennes, pour lesquelles un dernier sondage donne aujourd'hui gagnant Syriza avec 30 % devant la droite à 27,5. Mais déjà, ce premier tour est particulièrement intéressant, du fait qu'il révèle une situation totalement contradictoire, et la première leçon à en tirer est… que les luttes sont indispensables pour éclaircir - dans le bon sens! - le paysage qui correspond bien au climat politique fort glauque de ces derniers mois.
Élections régionales : elles correspondent à quelque chose qui permettrait de désigner à la fois les assemblées régionales françaises et les préfets. Les espoirs de Syriza étaient que pour cette institution plutôt favorable aux partis de l'ordre établi, il puisse arriver en seconde ou première position dans la moitié au moins des 13 régions. Ce n'est pas ce qui s'est produit : il arrive second dans 4 régions (dont 1 emportée dès le 1er tour par la droite) et 1er en Attique. Est-ce pour autant une victoire éclatante de la droite et du PASOK? Pas vraiment : non seulement la campagne s'est voulue déconnectée de la réalité nationale de crise profonde, mais les listes elles-mêmes avaient un caractère « apolitique », « indépendant », qui aurait pu faire rire si la réalité quotidienne le permettait. Ainsi, en Arcadie, le candidat qui arrive en tête est un ancien maoïste devenu ministre de la culture sous la Nouvelle Démocratie (droite, ND) puis « préfet » de cette région avec le soutien de la droite et du PASOK en 2010. Cette année, ses affiches ne mentionnaient aucun soutien politique, l'homme ne s'intéressait qu'à l'avenir radieux de sa région, loin des partis athéniens, mais il était de fait le candidat du PASOK ! Et c'est ce « repli sur le local » qui a assuré la résistance plus forte qu'attendue du système, face à la vague de mécontentement.
Contrairement aux pronostics mais aussi à des commentaires entendus, la participation est loin d'avoir chuté : 60,88 en 2010, 61,56 en 2014. En gros, les résultats nationaux donnent 26,3 % pour la droite, 17,7 pour Syriza, 16,2 pour le PASOK, 8,8 pour le KKE (PC grec), 8,1 pour les nazis, 2,1 pour ANTARSYA. De ces chiffres, le plus remarquable est celui du PASOK : le parti socialiste, même en jouant avec différentes casquettes, dont celle d'un pseudopode Elia, s'effondre, et on est espérons-le définitivement sorti des années de bipartisme ND-PASOK. Le KKE, même s'il s'est dépêché de comparer son score avec celui des législatives de 2012 qui avaient été catastrophiques pour lui, recule de 2 points par rapport à 2010.
Les 3 autres chiffres sont les plus importants pour l'avenir : évidemment, celui des nazis de Chryssi Avgi (1). Avec plusieurs de ses dirigeants en prison, avec une appellation officielle d'organisation criminelle, cette bande d'assassins s'incruste dans le paysage politique. Une des raisons de cela est le discours raciste et même profasciste de dirigeants du gouvernement, que ce soit le conseiller (chassé !) du premier ministre ou le candidat de la droite aux municipales à Athènes. La vigilance antifasciste doit s'accroître dans les mois à venir!
Pour Syriza, le jugement est contradictoire : si l'on compare aux régionales de 2010 (4,5 %), le progrès est spectaculaire. Le plus important est celui de l'Attique, à la fois parce que la région athénienne regroupe presque la moitié des électeurs, mais aussi pour sa portée politique nationale : Rena Dourou obtient 23,8 % (Syriza avait 6,3 en 2010) contre 22,1 % pour l' « indépendant » Sgouros, candidat du PASOK en 2010 ((24,8 %). En même temps, ces évolutions extraordinaires connaissent de sérieuses limites. Certes, Syriza prend des voix au KKE et avant tout au PASOK, mais sa crédibilité reste limitée sur le terrain, où bien souvent des dirigeants du Synaspismos, la force hégémonique au sein de Syriza, sont connus comme gestionnaires ou syndicalistes réformistes. Et sont en cause aussi les manœuvres pour la désignation de certaines têtes de liste, comme en Arcadie où un ancien dirigeant de Médecin Sans Frontière passé à DIMAR, petit groupe de gauche qui a gouverné récemment avec le PASOK et ND, a donné lieu à des colères justifiées de bien des militant-e-s de Syriza.
Avec 2,3 % (1,8 en 2010) obtenus dans un paysage politiquement et médiatiquement polarisé, Antarsya obtient un excellent résultat : 7 éluEs, comme en 2010, et un ancrage national qui confirme que la gauche radicale et révolutionnaire grecque est sortie des scores groupusculaires de 0,01 à 0,5 % qu'elle obtenait depuis 30 ans ! En Crète, elle obtenait 1 élu en 2010 avec 1,6, cette année avec 2,3 elle n'en a pas. Elle progresse d'environ 30 000 voix. Cela dit, même si en Attique est élue Despina Kouloumbas, ancienne dirigeante du syndicat des archéologues, Antarsya passe de 2,29 % en 2010 à 2,09 dans la région où le vote avait une portée politique centrale. Mais si certains doutaient de la possibilité de construire une gauche anticapitaliste à côté du regroupement Syriza, cette consolidation nationale devrait leur ôter définitivement ce doute ! Par contre, Antarsya aura peut être à discuter des questions de tactique électorale, moins par rapport à ces élections locales ou encore moins aux européennes, mais par rapport à de futures élections législatives, entre autres raisons parce que le vote utile risque de siphonner les voix pour le regroupement anticapitaliste.
Élections municipales : le tableau des résultats est encore plus glauque ! C'est ici un festival de candidats indépendants arrivant en tête, à commencer par Athènes et Thessalonique , où les 2 maires élus en 2010 avec le soutien du PASOK ont pris la sage précaution depuis plusieurs mois de se proclamer indépendants ! Les municipales ont vu des combats fratricides entre anciens candidats soutenus par la droite ou le PASOK en 2010 se déchirant entre eux pour savoir lequel serait le plus strictement rivé les yeux sur les quatre murs du seul intérêt de la commune, en toute indépendance des partis, et cela vaut pour bien des villes moyennes ! Et là encore plus, le système a pu ainsi se protéger, le réflexe localiste a fortement joué sur les électeurs ! Autrement, les tendances sont les mêmes que pour les régionales, mais on doit se pencher sur quelques villes pour montrer les contradictions à l’œuvre.
A Athènes, si le maire sortant Kaminis (devenu « indépendant » !) obtient 21 % (28 en 2010), Syriza passe de 5,8 à 20 %. Mais Chryssi Avgi, emmenée par le sinistre Kasidiaris, petite frappe pas encore sous les verrous, passe de 5,3 % (1 élu) en 2010 à 16 % (4 élus), allant jusqu'à 20 % dans quelques quartiers populaires … Pour Antarsya, Petros Konstantinou, militant antifasciste connu, est réélu, mais avec 1000 voix en moins.
Au Pirée, autrefois ville de gauche, le maire sortant (ND, très à droite...) est devancé par un duo comprenant le mafieux dirigeant de l'équipe de foot locale. Ces 2 listes totalisent 64 % des voix. Syriza passant de 7.6 % à 17,8 , le KKE de 14, 7 à 6,7 et ANTARSYA de 2,7 à 1,4 %. Ajoutons que les nazis obtiennent 5,7 % et que la participation est passée de 45 % en 2010 à 54 %...
Un cas intéressant est celui de Patras, 3ème ville du pays. Là, c'est le KKE qui arrive en tête, passant de 16,5 à 25 %, alors que Syriza obtient 15,4. Antarsya obtient 1 élu.
Au risque d'être très réducteur, le 2ème tour à Athènes et à Patras sont peut être les plus intéressants : à Athènes, un « effet Syriza » pourrait jouer, même si mathématiquement Kaminis est gagnant. Cela dépendra des reports : Antarsya appelle à battre Kaminis, mais le KKE ne l'a pas fait! Mais cela dépendra beaucoup plus du climat politique national lié au vote athénien, Kaminis étant perçu - bien plus par exemple que le maire de Thessaloniki qui appelle depuis longtemps à l'interdiction de Chryssi Avgi - comme lié au PASOK. A Patras, l'élection du candidat KKE pourrait avoir un effet en profondeur mettant en cause le sectarisme insensé de ce parti : aussi bien Antarsya que SYRIZA, à travers un discours très correct de Tsipras rappelant que l'heure n'est pas aux affrontements au sein de la gauche (le PASOK est moins que jamais considéré comme de gauche!), ont appelé à la victoire de ce candidat. En cas de victoire grâce à de bons reports, le KKE risquerait gros à poursuivre sa ligne de division, et ses électeurs pourraient le sanctionner encore plus durement à l'avenir, mais surtout ce serait là une occasion de pouvoir relancer une alliance de front unique sur le terrain, facteur qui ferait alors bouger en profondeur les rapports de force actuels !
D'Athènes, le 23 mai 2014,
A. Sartzekis
(1) A signaler : le livre de Dimitris Psarras sur Aube Dorée (Chryssi Avgi) vient de sortir en français : Aube Dorée, Livre noir du parti nazi grec, Syllepse, 15 euros. Lecture indispensable, c'est l'ouvrage de référence écrit par un journaliste militant qui travaille depuis longtemps avec une équipe remarquable, celle de Ios, accomplissant à elle seule un travail qui rejoint les préoccupations d'information concrétisées à l'époque par Ras l'front.