Le cinquième congrès du HDP s’est tenu le 3 juillet dans l’immense salle du Arena sports Hall à Ankara. Les tribunes bondées qui peuvent accueillir 10 000 personnes débordaient sur le terrain central où avaient pris place les 1 050 déléguéEs venant de toute la Turquie. L’ambiance était à la fête, et de nombreux groupes se sont mis à danser au son de la musique kurde avant le début des travaux du congrès.
Face à la répression
Pourtant l’avenir du HDP est assombri par la menace d’interdiction du parti, dont l’instruction est en cours devant la Haute cour de justice turque. Mais l’enthousiasme des militantEs, agitant des centaines de drapeaux HDP, n’a pas été douché par les tracasseries et les contrôles de police à l’entrée de la ville. Ni par les risques d’incarcération, puisque plusieurs milliers de militantEs et cadres du parti, éluEs des municipalités ou de l’Assemblée législative, sont actuellement en prison ou sous le coup de poursuites pour « liens avec une organisation terroriste », il s’agit évidemment du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
Le congrès était présidé par Mme Pervin Buldan, co-présidente, et M. Mithat Sancar, co-président, car la direction du parti est strictement paritaire, comme toutes les mairies qu’il dirige, enfin celles qu’il dirigeait puisque le gouvernement a autoritairement démis de leurs fonctions ces maires, parfois éluEs avec 95 % des voix, pour les remplacer par des « administrateurs » du parti du président Erdogan, l’AKP. Les deux précédents co-présidentEs, Selahattin Demirtas et Figen Yüksegdag, sont emprisonnéEs depuis 2016, bien que la Cour européenne des droits de l’homme ait exigé leur libération en décembre 2020.
De nombreuses délégations étrangères assistaient au congrès, parfois massives, comme celle de la Grèce avec une importante délégation de Syriza, et de l’État espagnol, avec une importante délégation de Podemos, plusieurs représentantEs de la CUP mais aussi des éluEs au Parlement de Catalogne et la présence de Bildu pour les Basques, des éluEs au Parlement européen de Grande-Bretagne, d’Italie entre autres également.
Erdogan en difficulté
La période est en effet cruciale : des élections présidentielle et législatives doivent se tenir au mois de juin 2023 en Turquie et les grandes manœuvres ont déjà commencé. Erdogan se retrouve dans une position difficile car la crise économique frappe de plein fouet la Turquie, les caisses sont vides et surtout l’inflation bat des records : estimée officiellement à 78 % par an, le taux réel serait bien supérieur, d’ailleurs le directeur des statistiques nationales a été immédiatement limogé après avoir annoncé un taux de 160 %… lui même peut-être édulcoré.
La base populaire de l’AKP, fidèle jusqu’il y a quelques mois, s’effrite nettement au fur et à mesure de l’appauvrissement généralisé des couches populaires. Le salaire de 48 % des travailleurEs s’établit à un peu moins de 300 euros, alors que le kilo de tomates tourne autour d’un euro et que le litre d’essence peut monter jusqu’à 1,60 euro dans certaines villes.
Dans ce contexte catastrophique, le gouvernement turc semble miser sur une fuite en avant nationaliste qui le pousse à menacer d’envahir une grande partie du Rojava et même, nouveau lapin sorti du chapeau, six îles grecques proches des côtes turques. Le nationalisme et l’ardeur guerrière feront-ils oublier les ventres vides ? Rien n’est moins sûr.
D’autant que du côté de l’opposition, le nationalisme n’est pas la dernière roue du carrosse.
Le parti social-libéral CHP a formé une coalition électorale, dont le candidat à la présidentielle pourrait être Ekrem Imanoglu, le maire d’Istanbul, avec plusieurs partis dont le Iyi parti (« Le Bon parti »), une scission du MHP, parti néofasciste en alliance au gouvernement avec l’AKP.
La scission de ce parti s’est faite sur le refus de l’alliance avec l’AKP islamiste, dans la tradition kémaliste, mais son ultra nationalisme pousse aussi au refus des droits des minorités.
La stratégie du HDP
Le HDP aurait-il pu intégrer cette coalition dans le but d’assurer la défaite d’Erdogan en 2023 ?
Impossible, nous dit Gulistan Kiliç Koçyigit, avocate et députée au Parlement pour la ville de Muç. Impossible de conclure une alliance avec les néofascistes du Iyi parti et la droite néolibérale.
Lors des élections municipales de 2019, le HDP avait retiré ses candidatEs et de fait permis l’élection de maires CHP dans les grandes villes de Turquie : Istanbul, Ankara, Izmir. Cuisante défaite pour Erdogan – qui avait été maire d’Istanbul pendant huit ans – et pour l’AKP en général. Ce qui était évidemment le but.
Mais le retour d’ascenseur ne s’est jamais produit – le HDP n’en espérait pas d’ailleurs. Le CHP est resté très discret sur les emprisonnements d’éluEs et a voté avec enthousiasme les invasions dans le nord de la Syrie. Alors, quand on évoque la participation à cette coalition, Gulistan Koçyigit est très claire : « Nous ne pouvons pas nous allier avec des partis institutionnels qui défendent l’ordre ancien. Notre but est de créer une troisième voie, un pôle démocratique qui s’appuie sur la société civile, les organisations des droits humains, les organisations de femmes et le mouvement écologiste. Nous pensons que cette union démocratique peut obtenir des résultats conséquents, avec au moins 150 députéEs. Quant à la présidentielle, le HDP reste un parti clé dans cette élection. »
La Haute cour de justice examine la requête en interdiction du HDP formulée par le gouvernement turc, et cette interdiction peut se produire à tout moment, dans un mois ou quelques semaines avant les élections de juin 2023. Mais Gulistan Koçyigit reste optimiste : « Nous avons l’habitude des interdictions, nous en avons déjà subi plusieurs dans notre histoire, et les votes des électeurs et électrices du HDP ne se disperseront pas. »