Trois mois après les élections qui lui ont assuré une victoire écrasante, Yingluck Shinawatra1, dirigeante du Puea Thai et première femme Premier ministre de Thaïlande, doit faire face aux pires inondations depuis 1942. Depuis le début de la mousson fin juillet, plus de 2,5 millions de personnes ont été affectées par les inondations dans 28 provinces du nord et du centre du pays. Près de 400 personnes ont péri et des centaines de milliers d’autres souffrent d’affections liées aux inondations.Les efforts sont maintenant concentrés pour éviter que le centre financier et commercial de la capitale Bangkok ne soit inondé, son poids économique représentant plus de 40 % du PIB de la Thaïlande. La ville est complètement encerclée par les eaux. D’immenses murs de sacs de sables ont été érigés, empêchant l’eau de s’écouler. Ils sont protégés par 50 000 militaires. À l’extérieur de cette enceinte, l’eau est retenue et peut atteindre un mètre de haut submergeant les maisons environnantes. Les tensions et le ressentiment sont palpables parmi la population. Les dégâts matériels et économiques sont absolument considérables. Les maisons et infrastructures ont été détruites ou endommagées par centaines de milliers. De larges zones de la plaine centrale, le grenier à riz de la Thaïlande, ont été submergées par les flots, détruisant 10 % des récoltes du premier exportateur mondial de riz. Plusieurs zones économiques ont aussi été inondées, empêchant ou ralentissant la production. Des centaines de milliers d’emplois sont menacés et avec eux, le revenu de millions de personnes qui en dépendent.
Selon de premières prévisions qui n’incluent pas d’éventuels dégâts dans le centre de Bangkok, le coût des inondations pourrait s’élever à 4,8 milliards de dollars et représenter 1 à 1,5 % du PIB. Avec une économie qui tourne au ralenti, les rentrées fiscales sont au plus bas. Le gouvernement doit maintenant faire des choix politiques pour financer la reconstruction et mettre en œuvre les mesures politiques promises.
Parmi les mesures phares, le Puea Thai s’était engagé à porter le salaire minimum journalier à 300 baths (7 euros) pour tous dès le 1er janvier 2012. Actuellement, il n’y a pas de salaire minimum à l’échelle nationale mais un salaire minimum déterminé par province qui oscille entre 159 et 221 baths.
Le salaire minimum en Thaïlande est déterminé et mis en œuvre par une commission tripartite composée de quinze membres – cinq représentants de l’État, cinq représentants des employeurs et cinq des salariés. Mi-octobre, un accord a été trouvé entre les représentants des salariés et de l’État, contre l’avis du patronat. Le salaire minimum sera augmenté de 40 % à l’échelle nationale à partir du 1er avril, ce qui le portera à environ 300 baths à Bangkok et dans six provinces où il est déjà assez élevé. Dans les 77 autres provinces, il restera donc en dessous du seuil des 300 baths promis durant la campagne électorale mais devrait progressivement augmenter jusqu’à ce niveau au cours des trois à quatre années à venir.
La mesure était présentée par ses détracteurs comme populiste, mais l’augmentation du salaire minimum journalier devrait permettre d’augmenter la consommation intérieure thaïlandaise, trop faible, et ainsi de contrebalancer une dépendance aux exportations qui représente pas moins de 60 % du PIB.
En maintenant une hausse substantielle du salaire minimum journalier contre l’avis des industriels déjà affectés par les inondations, le gouvernement envoie un signal fort à sa base électorale composée principalement d’ouvriers et de paysans. C’est une première étape importante mais les choix fiscaux pour financer la reconstruction devraient constituer un test décisif.
Le gouvernement vient d’approuver une rallonge budgétaire de 50 milliards de baths pour la nouvelle année fiscale qui débute le 1er octobre mais il envisage aussi de se tourner vers les organismes multilatéraux pour emprunter plusieurs centaines de milliards de baths. Pour cela, sa priorité semble être de rassurer les marchés financiers et les investisseurs afin de garder sa « capacité à emprunter sur les marchés financiers ».
Reste entière la question de qui va payer la note ? Le gouvernement va-t-il faire des économies en réduisant les dépenses de l’État, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé ou aura-t-il le courage de taxer les privilégiés et de réduire le budget de l’armée ?
Danielle Sabai1. Plus jeune sœur de Thaksin Shinawatra, homme d’affaire et politicien renversé par un coup d’État militaire en septembre 2006.