Le mouvement syndical irlandais n’est pas marqué par une forte tradition de confrontation. Mais un syndicalisme modéré qui négocie à la marge n’a plus de fonctionnalité dans le contexte social et politique que connaît l’ex « Tigre celtique ».
Certains dirigeants syndicaux ont d’ailleurs été hués à la manifestation du samedi 27 novembre qui fut un grand succès, avec 100 000 personnes dans les rues de Dublin malgré le froid et la neige. Elle était appelée par l’Ictu, l’union syndicale irlandaise, contre la gestion de la crise par le gouvernement et le plan d’austérité. Composée de cortèges syndicaux mais aussi de milliers de manifestantEs venuEs individuellement ou en famille, elle a vu fleurir les slogans, pancartes et prises de parole dénonçant les banquiers et leurs valets et exigeant avec force le départ du gouvernement. La question des suites est posée.
Les syndicats appelleront-ils à une grève générale, comme les y invitent les secteurs les plus radicaux ? Les mêmes secteurs appellent à un rassemblement devant le Parlement le 7 décembre, jour du vote du budget. Ils ont tenu un meeting devant plusieurs milliers de personnes en fin de manifestation, auquel Joe Higgins, député du Socialist Party au Parlement européen, a pris la parole. Après l’annonce du plan d’austérité, l’angoisse et la colère cohabitent dans la population. L’angoisse parce que si les salariéEs avaient pu se laisser abuser la première fois, ils savent maintenant que la crise va durer : comment des mesures qui sont de la même nature que celles qui leur ont été imposées précédemment et ont conduit à l’échec pourraient-elles avoir des conséquences différentes ? Et colère… pour les mêmes raisons.
La situation irlandaise a l’avantage d’éclairer les responsables et les victimes de la crise d’une lumière crue. Le discrédit des banquiers et des financiers est énorme. Celui du gouvernement le surpasse peut-être. Au point que Brian Cowen, Premier ministre, a dû avancer la date des prochaines élections, qui auront lieu début 2011. En difficulté au Parlement, le gouvernement, et notamment Fianna Fail, le parti de droite qui le conduit, semble assuré de les perdre. Il vient d’ailleurs de perdre une élection partielle dans le Donegal, un comté qui avait pourtant toujours majoritairement voté Fianna Fail.
C’est le Sinn Féin (le parti de Gerry Adams, longtemps aile politique de l’IRA) qui a remporté l’élection. Signe des temps, Gerry Adams lui-même a annoncé son intention de se présenter aux élections législatives, dans une Irlande qui n’accordait jusque-là aux Républicains que des scores fort modestes.
En effet, plus généralement, c’est tout l’échiquier politique qui semble bouleversé. Les Verts ont fait le choix incompréhensible d’être en alliance avec la droite au gouvernement. Fine Gael, principal parti d’opposition, classé au centre droit et qui assure traditionnellement l’alternance en coalition avec d’autres, semble en bonne position, mais certains de ses membres expliquent qu’il faudrait aujourd’hui unifier Fine Gael et Fianna Fail.
Dans cette situation, l’alliance « People before profit », constituée autour du SWP irlandais, et plusieurs groupes d’extrême gauche ont pris la décision de s’unir pour participer aux élections, sur un programme d’urgence face à la crise, au sein de l’United Left Alliance. C’est un événement important, dont il faut espérer qu’il puisse cristalliser la colère sociale.
Ingrid Hayes