Shane MacGowan, le chanteur mythique du groupe de musique irlandaise The Pogues, à la dentition et l’âme d’un punk, est mort à la suite d’une pneumonie le 30 novembre dernier dans sa maison à Dublin. Il avait 65 ans. Il laisse derrière lui un répertoire unique de ballades irlandaises où la musique folk de l’île se marie avec les rythmes londoniens du rock et du punk.
Sa vie, faite d’excès dans la consommation d’alcool et de drogues, et de soirées dans les pubs de Soho et Picadilly, se confond avec les récits de ses chansons qui dessinent le portrait d’un artiste hors du commun, à la fois raffiné et chaotique, rêveur et autodestructeur.
L’enfance en Irlande et la diaspora
Shane MacGowan est né le 25 décembre du 1957 dans le Kent, en Angleterre, où ses parents irlandais étaient en visite chez la famille. Son père était de Dublin et sa mère de Tipperary. C’est ici que Shane a passé son enfance et découvert, très jeune, la musique et les danses traditionnelles qui auront une grande influence sur sa vie et son art. À l’âge de 6 ans, sa famille émigre en Angleterre. L’expérience de la diaspora est centrale dans son travail où le lien avec l’Irlande est sublimé tout comme la musique celtique qui acquiert une intensité et une résonance nouvelles. Shane n’oubliera jamais « les Commons », sa maison familiale, ni cette période de son enfance où la vie était dure mais heureuse, où l’absence d’électricité et d’eau courante était comblée par la chaleur des gens et les fêtes sans fin du week-end. Les parents de Shane ont déclaré qu’ils n’avaient jamais pensé s’établir en Angleterre, ils leur manquaient toujours quelque chose. Cela leur donnait une sorte de liberté, due à la capacité de prendre une distance, d’appartenir à plusieurs endroits à la fois, de vivre suspenduEs au fil de la nostalgie.
La rencontre avec le punk
Shane a donc grandi à Londres où il a passé la plupart de sa vie. La « Dirty Old Down » de Ewan MacColl, qu’il a contribué à rendre célèbre, n’est pas Dublin mais Salford qui, dans les années 1940, était le cœur enfumé du nord industriel de l’Angleterre. La chanson renvoie à la fois « au romantisme de la vie ouvrière et au désespoir d’y échapper »1.
En dépit de son talent littéraire, il est expulsé de l’école à 16 ans pour détention de drogue et se consacre à des petits boulots. En 1976, la rencontre avec les Sex Pistols a constitué un tournant dans sa vie. Son intensité et son côté rebelle correspondaient parfaitement à l’éthique punk tout en se heurtant à son côté romantique. En 1978, il fonde son premier groupe, The Nipple Erectors (The Nips), avant de contribuer à la création de The Pogues, en 1982, où il exprimera tout son talent. Les autres membres du groupe sont Cáit O’Riordan (basse) et Andrew Ranken (batterie), eux aussi d’origine irlandaise, ainsi que trois autres associés, Jem Finer (banjo), Spider Stacy (tin whistle) et James Fearnley (accordéon). Le résultat est un son unique, à la fois traditionnel et international où sa voix Irish-punk fait vibrer, aimer et fêter.
La musique et l’exil romantique
L’exil romantique devient une façon de vivre, de chanter, de boire sans limites. Ses histoires, d’une rare beauté, parlent d’amours passionnés, de beuveries dans les bars, de la famine de 1845 en Irlande et des marges. Shane MacGowan est « la première voix qui s’est élevée au sein de la communauté irlandaise de Londres pour donner une expression provocante et poétique à une communauté qui ne s’était jamais vraiment sentie capable de se proclamer elle-même »2. Les Pogues ont donné une visibilité à une facette de la vie des migrantEs qui n’avait jamais été abordée dans la culture populaire. Les visites de Shane en Irlande ont renforcé ses convictions républicaines et socialistes. Même si les Pogues n’étaient pas ouvertement politiques, Shane avait des relations amicales avec Gerry Adams, le leader du Sinn Féin. L’une de ses chansons, « Paddy Public Enemy N°1 » était inspirée par le républicain Dominic « Mad Dog », un haut responsable de l’INLA (Irish National Liberation Army), après avoir été expulsé de l’IRA (Irish Republican Army), et qui a ensuite été abattu.
« A Pair of brown eyes », « Streams of whiskey », « A rainy night in Soho », « The old main drag » font partie des grands succès des Pogues. Les albums « Rum sodomy and lash », sorti en 1985, et « If I should fall grace with God », en 1988, sont exceptionnels. Mais le « drunken paddy » est un poète damné qui risque de se perdre. Son style de vie dissolu et son manque de professionnalisme sont à l’origine de la rupture avec les Pogues ; il est viré du groupe au début des années 1990 bien qu’il en reste à jamais l’âme. Sa musique, elle, ne s’arrête pas : il a collaboré avec d’autres artistes, comme Sinéad O’Connor, puis il a créé un autre groupe, The Popes, avec lequel il a sorti « The Snake », un autre album remarquable, suivi par « Crock of Gold ».
Au début des années 2000, il a rejoint à nouveau les Pogues. Leurs concerts de Noël pleins à craquer étaient devenus une tradition festive tandis qu’un McGowan, de plus en plus ivre, s’accrochait tragiquement au micro3.
En 2018, il a été honoré lors d’un concert de gala au National Concert Hall de Dublin, où le président irlandais Michael D. Higgins lui a remis le prix de l’œuvre de toute une vie. La même année, après une relation de 11 ans, il a épousé la journaliste irlandaise Victoria Mary Clarke. Sa mort n’est pas une surprise. Tout le monde pensait qu’elle arriverait beaucoup plus tôt. Son œuvre, en revanche, a déjà conquis une place, toute spéciale, dans l’histoire internationale du rock.
- 1. https://ig.ft.com/life-o…
- 2. Documentaire de la BBC « The Great Hunger : the Life and Songs of Shane MacGowan », cité dans l’article de The conversation [https://theconversation…].
- 3. [https://www.bbc.com/news…]