Sean Cain est originaire de Toronto au Canada et vit à Avon, en France. Il est membre du NPA en Seine-et-Marne. Il revient sur les fortes mobilisations étudiantes de ces trois derniers mois durement réprimées au Québec. Le mot « solidarité » n’est pas juste un cliché. C’est une nécessité fondamentale pour les militants de gauche partout dans le monde, qui veulent créer une société démocratique et sans classes.
L’histoire nous montre que si nous voulons contester sérieusement la loi du capital, les travailleurs doivent lutter aux côtés des étudiants, des militants écologistes, féministes et tous les autres progressistes.
C’est précisément ce qui s’est passé ces trois derniers mois dans la province du Québec, au Canada, où se déroule la grève étudiante la plus massive dans l’histoire du pays. Depuis mi-février, plus de 300 000 étudiants – dans une province qui compte 7,9 millions d’habitants – sont en grève contre la proposition du gouvernement libéral d’augmenter les frais d’inscription à l’université de 83 % sur cinq ans.
Le Québec est la province francophone du Canada. Historiquement, c’est là que se sont implantés les syndicats les plus à gauche et les plus militants du pays. Pourtant le gouvernement actuel, à l’image de la plupart des États néolibéraux dans le monde, veut faire payer aux étudiants la crise créée par les banques et le capitalisme néolibéral.
Bien que les universités du Québec aient les frais d’inscription les plus faibles du pays, les universités canadiennes ont des frais d’inscription parmi les plus élevés du monde. Un cycle universitaire de quatre ans revient à 58 000 dollars en moyenne (soit 44 666 euros), ce qui oblige de nombreux étudiants de la classe ouvrière voire des classes moyennes à renoncer aux études supérieures, ou à s’endetter à hauteur de dizaines de milliers de dollars pour tenter de financer leur éducation.
Trois organisations étudiantes majeures au Québec, dont Classe (Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante), qui est la plus importante et la plus à gauche d’entre elles, ont mené la lutte contre le gouvernement.
D’autres syndicats et organisations de gauche ont participé aux manifestations et publiquement soutenu les étudiants. « Québec solidaire », un parti de gauche radicale réunissant plusieurs organisations anticapitalistes qui représente environ 10 % dans les sondages, a également soutenu le mouvement.
L’objectif du mouvement étudiant est d’obtenir l’abolition des frais d’inscription. C’est la situation dans des pays tels que la Suède, le Danemark et la Norvège.
Le gouvernement libéral a tenté d’écraser la grève par des mesures de plus en plus répressives. Depuis février, 1 511 personnes ont été arrêtées, dont deux journalistes et un enseignant. C’est trois fois plus que durant la crise d’octobre 1970, quand les forces armées canadiennes avaient occupé la province et imposé la loi martiale à la suite de l’enlèvement de deux représentants du gouvernement par le Front de libération du Québec (FLQ).
La semaine dernière, le gouvernement a fait passer une loi très répressive, le « bill 78 ». Rassemblements, manifestations, piquets de grève sont interdits partout dans la province sans autorisation préalable. Les sanctions prévues en cas de désobéissance incluent des amendes jusqu’à 5 000 dollars (3 830 euros) pour un individu, 35 000 dollars (26 810 euros) pour les leaders étudiants ou syndicaux. La loi prévoit aussi des restrictions spécifiques concernant le droit de grève des personnels de l’éducation.
La Commission québécoise pour les droits de l’homme, l’Association des professeurs d’université et Louis Masson, responsable du Barreau du Québec (principale association d’avocats de la province), se sont tous opposés à cette législation. Même « Strike the strike », un groupe opposé à la grève et aux dirigeants étudiants, a exprimé son opposition.
Jusqu’ici, les étudiants ont ignoré la loi et continué leur mouvement, et les organisations comme Classe se sont juré de défier la nouvelle loi par tous les moyens. En fait, depuis la semaine dernière, les manifestations sont devenues plus radicales, et les étudiants sont toujours dans la rue, arborant sur leur blouson ou leur sac les carrés rouges qui sont devenus le symbole de la grève.
Comme le dit la gauche radicale au Canada, « la solidarité ne connaît pas de frontières ». C’est pourquoi les principaux représentants de la Fédération canadienne des étudiants (CFS), qui représente plus de 500 000 étudiants, essentiellement dans les régions anglophones, ont proposé à leur organisation d’appeler à une grève en Ontario, la province la plus étendue du Canada, en solidarité avec les étudiants du Québec.
Comme on l’a vu durant le printemps arabe et le mouvement Occupy, les mobilisations en Grèce contre l’austérité et la grève étudiante au Québec aujourd’hui, rien n’est plus fort qu’une mobilisation collective et engagée en solidarité dans l’intérêt de toutes et tous.
Sean Cain, le 22 mai. Traduction : Ingrid Hayes