Publié le Mardi 23 octobre 2012 à 15h07.

Russie Contre les fraudes électorales : résistance !

Oleg Shein était à Paris fin septembre pour rencontrer la presse et de nombreuses organisations démocratiques, et dénoncer ainsi les pratiques électorales de Poutine notamment dans sa ville d’Astrakhan. Des milliers de manifestants et une grève de la faim de 40 jours ont eu lieu pour dénoncer les falsifications qui l’ont empêche d’être élu.

Oleg Shein avait été député à la Douma de 1999 à 2011, membre de la gauche de « Russie juste ». Il est aujourd’hui député au Parlement régional d’Astrakhan,membre de la direction de la Confédération du travail de Russie et de l’Union des habitants. Très connu dans le mouvement social, il se réclame d’un anticapitalisme de gauche et nous a accordé cette interview.

Quelles ont été les formes de fraude et de bourrage des urnes à Astrakhan ?
Le 4 mars 2012 a eu lieu l’élection du maire d’Astrakhan, en même temps que l’élection présidentielle. Les fraudes ont pris la même forme : les observateurs et les membres des commissions électorales de l’opposition n’ont pas été autorisés à approcher des tables de comptage des bulletins de vote. Ils ont été évacués de force par la police, empêchés d’approcher par un barrage de chaises et de tables. Ensuite, les membres des commissions électorales désignés par le pouvoir en place ont encerclé les tables et, sans montrer les bulletins, les ont distribués dans des tas différents. Ensuite, sans indiquer combien de bulletins allaient à quel candidat, ils ont désigné le candidat gagnant. Dans les bureaux de vote où les observateurs ont pu néanmoins se frayer un passage vers les tables, ils ont découvert que les deux tiers des bulletins mis sur le tas de mon concurrent du parti du pouvoir « Russie unie » étaient en fait des bulletins pour moi et « Russie juste ».
Que représente l’opposition à Poutine et quel rapport de forces y a-t-il entre les progressistes et les nationalistes ?
L’opposition à Poutine est très diverse. Il vaut mieux parler d’un mécontentement croissant dans la population. La structuration de l’opposition radicale se fait depuis le début de l’année, en grande partie sous le contrôle de la droite libérale. En ce moment ont lieu les élections du Soviet (Comité) de coordination de l’opposition. Elles se déroulent majoritairement sur Internet et près de 100 000 personnes devraient prendre part au scrutin. Pour les nationalistes, ces élections sont l’occasion d’asseoir leur respectabilité. Dans le camp de gauche, participent aux élections des militants de la nouvelle gauche et la fraction la plus radicale de « Russie juste ». Je précise que le mouvement politique d’opposition aujourd’hui est faiblement lié aux mouvements sociaux et syndicaux, mais que ces derniers sont dans une opposition de fait au pouvoir en place. L’un des critères de différenciation est que les mouvements sociaux ne concentrent pas leur opposition sur la personne de Poutine, alors que le mouvement politique actuel met l’accent sur la revendication de sa démission.
Quels liens existent entre les revendications démocratiques et les revendications sociales ?
Aujourd’hui le gouvernement mène une politique antisociale offensive. Les impôts sur les sociétés baissent, alors que les fonds budgétaires sont pillés (l’argent de la corruption dépasse les revenus budgétaires). L’éducation et la santé sont les premières victimes de cette politique, les salaires des salariés de ces secteurs diminuent de fait. Une telle politique n’est rendue possible que par les fraudes aux élections, grâce à la majorité que se garantit ainsi le parti du pouvoir « Russie unie ». 
Au parlement fédéral d’abord, et en miniature dans les villes et régions. Les Russes descendent de plus en plus dans la rue, en priorité sur des questions sociales : par exemple, contre la remise en cause de la gratuité de la pêche, contre la réduction des allocations familiales, contre la remise en cause de la gratuité de l’école. Quelquefois les campagnes sur ce type de revendications obtiennent gain de cause, mais ces concessions n’entretiennent aucune illusion, il est clair pour la plupart que ce qu’il faut changer, c’est le cours politique dans son ensemble.
Où en sont les forces indépendantes comme les syndicats, les comités pour le logement ou l’environnement ?
Ce qui manque aux mouvements sociaux et syndicaux, c’est la coordination et l’unité d’action. Il y a des progrès dans le sens d’une consolidation des forces ces dernières années : différentes associations d’habitants ont signé un accord de collaboration et de coordination des actions. Tous les syndicats réellement indépendants et combattifs se sont unis dans la Confédération du travail de Russie. Sur la base de la campagne pour la défense de la forêt de Khimki se constitue un mouvement écologiste. Mais le niveau de coordination et, surtout, les liens horizontaux restent très faibles. C’est pourquoi circule l’idée d’un nouveau et large Forum social russe qui permettrait de renforcer les liens de solidarité et de mettre en place une dynamique commune pour la défense des droits de chacun et de l’intérêt général.

Propos recueillis par Alain Krivine