Publié le Jeudi 23 février 2023 à 17h00.

Russie/Ukraine : « Nous disons : guerre à la guerre ! »

Nous publions des extraits d’un appel du Mouvement socialiste de Russie.

La résistance héroïque des UkrainienEs a contrecarré les plans de Poutine, transformant la « petite guerre victorieuse » dont rêvait le Kremlin en un conflit prolongé qui a épuisé l’économie russe et brisé le mythe de l’invincibilité de son armée. Acculé, Moscou menace le monde avec ses armes nucléaires tout en exhortant l’Ukraine et l’Occident à négocier. À l’unisson de cette rhétorique, on entend les voix de ceux qui, dans la gauche européenne et états­unienne, s’opposent aux livraisons d’armes à l’Ukraine (pour « sauver des vies » et empêcher une apocalypse nucléaire). En même temps — puisque la Russie n’est pas prête à se retirer des territoires occupés, ce qui est une condition impérative pour Kiev (et la position de 93 % des UkrainienEs) — on sous-entend que l’Ukraine doit sacrifier sa souveraineté afin « d’apaiser l’agresseur ». Une politique qui a de sinistres précédents dans l’histoire européenne !

Sauver des vies ?

Est-il donc vrai que la défaite de l’Ukraine (inévitable si l’aide occidentale est réduite) permettra d’éviter davantage de victimes ? Même si nous acceptons la logique non évidente du point de vue socialiste selon laquelle « sauver des vies » est plus important que de combattre la tyrannie et l’agression, nous pensons que ce n’est pas le cas. Il est notoire que Vladimir Poutine revendique l’ensemble du territoire de l’Ukraine, affirmant que les UkrainienEs et les Russes sont « une seule nation » et que l’existence d’un État ukrainien est une erreur de l’histoire. Un ­cessez-le-feu ne ferait que donner au Kremlin le temps de reconstituer sa capacité militaire en vue d’un nouvel assaut. Il s’agirait notamment d’augmenter la taille de l’armée en y enrôlant de force des Russes (pour la plupart issus des minorités ­ethniques et des plus pauvres).

Si l’Ukraine continue à résister à l’invasion sans approvisionnement en armes, cela entraînera d’innombrables pertes parmi les soldats et les civils ukrainienEs. Et la terreur, dont nous avons vu les horribles résultats à Boutcha et ailleurs, est ce qui attend tous les territoires qui seraient accaparés par la Russie.

L’impérialisme multipolaire

Lorsque Poutine parle de se débarrasser de l’hégémonie américaine dans le monde et même d’« anti­colonialisme » (!), il ne fait pas référence à la création d’un ordre mondial plus égalitaire. Le « monde multipolaire » de Poutine est un monde où la démocratie et les droits humains ne sont plus considérés comme des valeurs universelles, et où les dites « grandes puissances » ont le champ libre dans leurs sphères d’influence géopolitiques respectives. Cela signifie essentiellement le rétablissement du système de relations internationales qui existait à l’aube des deux guerres mondiales. Ce « brave vieux monde » serait un endroit merveilleux pour les dictateurs, les corrupteurs et l’extrême droite. Mais ce serait l’enfer pour les travailleurEs, les minorités ethniques, les femmes, les LGBT, les petites nations et les mouvements de libération. Une victoire de Poutine en Ukraine ne rétablirait pas le statu quo d’avant-guerre, elle créerait un précédent mortel légitimant ainsi « le droit des grandes puissances » de mener des guerres d’agression et de pratiquer le chantage nucléaire. Ce serait le prologue de nouvelles catastrophes militaires et politiques.

À quoi conduirait une victoire du poutinisme dans la guerre en Ukraine ?

Une victoire de Poutine signifierait non seulement la soumission de l’Ukraine, mais aussi la soumission de tous les pays post-soviétiques aux diktats du Kremlin. En Russie, une victoire du régime préserverait un système défini par la domination de l’oligarchie du pouvoir et des combustibles fossiles sur les autres classes sociales (et surtout sur la classe ouvrière) et le pillage des ressources naturelles au détriment du développement technologique et social.

En revanche, la défaite du poutinisme en Ukraine donnerait probablement un élan aux mouvements pour le changement démocratique en Biélorussie, au Kazakhstan et dans d’autres anciens pays soviétiques, ainsi qu’en Russie même. Il serait trop optimiste de prétendre que la défaite à la guerre mène automatiquement à la révolution. Mais l’histoire de la Russie regorge d’exemples de revers militaires à l’étranger qui ont conduit à des changements majeurs dans le pays — dont l’abolition du servage, les révolutions de 1905 et 1917, et la Perestroïka dans les années 1980.

Les socialistes russes ne veulent pas une « victoire » de Poutine et de ses copains oligarques. Nous appelons tous ceux qui souhaitent réellement la paix et qui croient encore au dialogue avec le gouvernement russe à exiger qu’il retire ses troupes des territoires ukrainiens. Tout appel à la paix qui n’inclut pas cette exigence est fallacieux.

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