Le 31 octobre 1975 s’ouvre une page sombre de l’histoire coloniale contemporaine : l’invasion du Sahara occidental par le Maroc, soutenue militairement et diplomatiquement par la France et les États-Unis.
Près d’un demi-siècle plus tard, le vernis propagandiste n’a pas entièrement réussi à masquer ce que fut cette intervention : une véritable boucherie coloniale.
Une agression soutenue par Paris et Washington
Le 21 mars 2025, l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, l’a lui-même reconnu publiquement. Lors d’une conférence à Rabat, il admet que « l’armée française a ouvert le feu » sur des colonnes du Polisario, détruites par des avions Jaguar. Un aveu saisissant, confirmant l’implication directe de Paris dans l’invasion.
Washington n’est pas en reste. Le secrétaire d’État Henry Kissinger s’emploie alors, en coordination avec Rabat, à organiser et légitimer la Marche Noire. En toile de fond : la volonté de récompenser la coopération intense, quoique secrète, entre le Maroc et Israël. Protégé par deux grandes puissances impérialistes, le régime colonial marocain peut avancer sans craindre de conséquences diplomatiques majeures.
Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte le 6 novembre 1975 la résolution 380, exigeant le retrait immédiat du Maroc. Cette injonction restera lettre morte, sans que cela n’entraîne aucune sanction.
Massacres, exode et crimes de guerre
Dès les premières semaines de l’invasion, ONG, journalistes et Comité international de la Croix-Rouge documentent une longue liste d’exactions commises par les armées d’occupation marocaine et mauritanienne : bombardements chimiques, exécutions sommaires, mutilations, attaques contre des colonnes de réfugiéEs en fuite, sièges de villes entières.
La Fédération internationale pour les droits de l’homme (FIDH) décrit dès février 1976 des massacres visant « des personnes de tous âges et de toutes conditions », y compris des enfants, exécutéEs pour refus d’allégeance au roi du Maroc. Des mutilations sont rapportées, comme des doigts coupés à des jeunes hommes pour les empêcher de combattre. La ville d’El Aïun se vide à 80 %, tandis que des camps de réfugiéEs sont bombardés.
L’universitaire américaine Ann Lippert témoigne devant le Congrès de bombardements au napalm entre janvier et février 1976 : selon elle, il existait « une volonté délibérée » des forces d’occupation marocaines « d’éliminer » les réfugiéEs.
Les attaques les plus meurtrières surviennent en février 1976 autour de Guelta Zemmur et Um Dreiga, où les forces d’occupation marocaines bombardent des milliers de civils, utilisant du napalm à plusieurs reprises.
Le documentaire Enfants des Nuages (2012) diffuse des images d’enfants sahraouiEs mutiléEs, ainsi que des témoignages glaçants. L’un d’eux raconte l’exécution de toute sa famille : soldats marocains pénétrant dans une maison, tirant sur les proches, frappant sa mère enceinte, égorgeant frères et père avant de torturer puis d’enterrer vivant l’enfant dans des ordures. Sauvé in extremis, il rejoint les camps de réfugiéEs algériens.
Face à ces massacres, l’Algérie est le seul pays à ouvrir ses frontières. Dès janvier 1976, la Croix-Rouge note la fuite de dizaines de milliers de SahraouiEs. Dans les années suivantes, près de 50 000 réfugiéEs, sur les 72 000 habitantEs recenséEs au Sahara occidental en 1974, s’installent dans les camps de Tindouf. Deux tiers du peuple sahraoui se retrouvent ainsi déracinés.
Un crime colonial impuni
En chiffres, l’invasion du Sahara occidental, ce sont des milliers de SahraouiEs massacréEs, exécutéEs ou brûléEs par les bombardements chimiques et plus des deux tiers de la population poussés à l’exil. Un demi-siècle après, Rabat continue d’imposer une domination coloniale soutenue par les mêmes puissances occidentales qui ont rendu possible la catastrophe de 1975. Rappeler cette histoire n’est pas seulement un travail de mémoire : c’est une nécessité politique, tant que le peuple sahraoui reste privé de liberté.
Amel