Publié le Dimanche 30 septembre 2012 à 10h44.

Santiago Carrillo, archétype de toute une « culture communiste »

À l’occasion de la mort de Santiago Carrillo, le 18 septembre à l’âge de 97 ans, Pepe Gutiérrez (Izquierda Anticapitalista) retrace le parcours de l’emblématique dirigeant du Parti communiste espagnol (PCE).Il est assez probable que, pour les nouvelles générations, le mot « communiste » fasse penser avant tout à Santiago Carrillo. Il a été, et de loin, le secrétaire général du PCE resté le plus longtemps à son poste.Fils du leader socialiste et syndicaliste UGT Wenceslao Carrillo, ses jeux d’enfant sont perturbés par les interventions de la police et les visites au père emprisonné. Carrillo s’est fait connaître comme le dauphin du leader du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) Largo Caballero. Le jeune Santiago est un fervent partisan de la dénommée « bolchévisation ». Dans les Jeunesses socialistes (JS), il est à la tête du secteur le plus impliqué dans les Alliances ouvrières de Joaquin Maurin. Carrillo est jusqu’à début 1936 le meilleur défenseur de l’entrée du Bloc ouvrier et paysan et des trotskistes dans le PSOE pour en renforcer l’aile gauche.Il a beaucoup été question du « trotskisme » aux JS. À l’époque, Trotsky demeure aux yeux de tous le compagnon de Lénine ; on lit ses œuvres mais surtout, on apprécie ses percutants travaux en faveur d’un front unique ouvrier socialiste et communiste, seul moyen de contrer Hitler. Mais dans le même temps, on continue de croire qu’en URSS se construit le socialisme. Après son emprisonnement pour son activisme en octobre 1934, Carrillo n’hésite pas. Quand il visite l’URSS vantée par tous les « touristes révolutionnaires », il s’écrie : « Voilà ce que je veux ! » Fin 1936, il intervient dans un meeting de la JSU en proclamant que le « trotskisme » fait partie de la ve colonne !Son rôle dans la défense de Madrid en tant que conseiller de l’Ordre public de la junte de Madrid et des prisons donc, est bien connu. Carrillo en était fier. Les bombardements sur la capitale étaient sans pitié, mais on n’en retient que l’image d’Épinal de l’exécution de fascistes à Paracuellos. À la fin de la guerre, le PCE est déjà brouillé avec toutes les forces républicaines. Carrillo lui-même écrit à son père (resté socialiste) : « entre un communiste et un traître, il ne peut y avoir aucune relation ». Son père lui répond en le traitant de « fils de Staline ».La suite de son itinéraire est marquée par une ascension fulgurante au sein de la hiérarchie du Parti. C’est une histoire dont on pourrait dire, sans généraliser outre-mesure, que les misères atteignent des sommets et les grandeurs des abîmes. Il y a un contraste assez clairavec, d’un côté, ceux qui restent à lutter à l’intérieur ou reviennent clandestinement, et de l’autre, ceux qui forment « l’appareil ». L’épisode de son retrait du maquis est sûrement le plus sombre, sujet sur lequel on commence à avoir des révélations effrayantes mais dont Carrillo a refusé de parler jusqu’à la fin […]. Nul doute que de tels épisodes ont fortement joué dans l’acceptation par Carrillo de « l’oubli historique » durant la Transition.Il me semble évident que ces pages noires contribuent à donner une image propre à des politiciens qui n’avaient pas bougé leurs fesses, tel Felipe Gonzalez, comparés à des secrétaires généraux aux armoires pleines de cadavres. Grâce aux soutiens de ses camarades de la JSU, Carrillo a renforcé son rôle au sommet du PCE, devenant ainsi membre d’une délégation espagnole auprès de Staline en 1948.En 1956, le sommet du PCE essaye bien d’empêcher la divulgation du Rapport Khroutchev sur les crimes de Staline, mais finit par l’accepter. Mieux encore, ils deviennent tous khroutchéviens. C’est sous cette influence qu’est rédigée la   « Déclaration pour la réconciliation nationale, pour une solution démocratique et pacifique du problème espagnol » qui annonce la politique qu’il mène à partir de la mort de Franco.C’est aussi durant cette phase que le PCE réussit à dépasser les obstacles de la clandestinité, ce à quoi ne parvient aucune des autres forces républicaines.C’est ainsi que le « carrillisme » devient une variante de la « culture stalinienne ». Le Parti n’était pas un lieu de discussion. Sous prétexte de la « discipline » nécessaire à la clandestinité, n’importe quelle divergence est une               « trahison ». On forge un militantisme aveugle, qui n’apprend qu’à obéir, avec une formation qui n’autorise que les lectures dans la ligne officielle. À cette école, on apprend aussi le culte de la manœuvre politique.C’est grâce à cette culture que Carrillo peut négocier avec Adolfo Suarez1 une transition qui transforme le mouvement ouvrier en parent pauvre d’une demi-démocratie.Ces derniers temps, lorsque quelqu’un nous interroge sur la profonde méfiance que ressentent les nouvelles générations envers les syndicats et les partis, on ne peut qu’admettre qu’elle est vraiment liée à l’énorme déception vécue par des milliers et milliers de militants honnêtes qui ont cru en tout et ont été profondément déçus.Que Carrillo repose en paix, et que ses efforts militants soient reconnus. Mais j’espère aussi qu’avec lui mourra un peu plus toute cette culture qu’on appelait « communisme » mais qui ne l’était pas.Pepe Gutiérrez (Izquierda Anticapitalista)1. Chef du gouvernement de droite nommé par le roi puis élu par les Cortes, après la mort de Franco.