Publié le Vendredi 6 décembre 2024 à 15h00.

Syrie : La chute d’Alep

Depuis le 28 novembre, les différentes factions djihadistes cantonnées dans la province d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, à la suite des accords d’Astana en 2017 signés par la Russie, l’Iran et la Turquie, ont lancé une offensive éclair qui a abouti en quelques jours au retrait de l’Armée arabe syrienne (l’armée de Bachar Al-Assad) de la ville d’Alep et de ses environs.

Le succès de cette offensive a plusieurs causes. L’une d’elles est l’unité sans précédent de très nombreux groupes djihadistes et de l’Armée nationale syrienne qui ont lancé l’opération « Dissuasion de l’agression » (censée être la riposte aux bombardements incessants des avions russes sur la province d’Idleb), avec un commandement militaire commun, alors qu’ils se sont opposés et parfois entretués pendant des années. 

L’Armée nationale syrienne est un regroupement de factions armées, entraînées et financées par la Turquie. Autre groupe très important, Hayat Tahrir al-Cham (HTC ou HTS en anglais), groupe dominant à Idleb, autrefois affilié à Al-Qaïda et qui s’en est détaché. Ses relations avec la Turquie s’en sont trouvées nettement améliorées. 

Le régime Al-Assad affaibli, la Turquie aux aguets

Il faut donc regarder du côté du sponsor et de ses intérêts. Pourquoi déclencher cette attaque maintenant ? Les vagues de bombardements et d’assassinats dans les rangs du Hezbollah, y compris en Syrie, par l’armée israélienne ont affaibli les ­ressources humaines de l'organisation et l’ont forcé à faire revenir au Liban de nombreux combattants actifs en Syrie. Le gouvernement israélien veut à tout prix faire tomber Assad, allié de son ennemi principal dans la région.

L’armée de Bachar Al-Assad est exsangue, démoralisée et mal équipée. Le retrait précipité d’Alep et de sa région en dit long sur sa combativité. Si l’Iran reste prudent pour des raisons évidentes dans le contexte actuel du Moyen-Orient, il va quand même tenter d’aider son allié.

Pour Assad, l’autre problème, c’est le désengagement au moins partiel de son allié russe, Poutine, qui a besoin de toutes ses ressources humaines et matérielles, sur le front en Ukraine. Néanmoins, difficile pour Poutine de livrer la Syrie à la Turquie, donc à l’Otan, sans réagir…

Il y a aussi les grandes manœuvres provoquées par l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Erdogan entretient de très bonnes relations avec Trump, et espère que son arrivée au pouvoir en ­janvier sera le signal d’un retrait des troupes étatsuniennes du Rojava, qui lui laisserait les mains libres pour envahir les territoires gérés par l’AANES (Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie).

Les Forces démocratiques syriennes se préparent

Ce n’est pas un hasard si une grande partie des forces djihadistes attaquent l’est de la province d’Alep et sont maintenant aux portes de Tall Rifaat et tout près de Manbij. Ils ont aussi coupé les grands axes routiers : la M4 qui relie Qamishli à Lattaquié, par laquelle transitent les camions transportant le pétrole brut des puits pétroliers sous contrôle de l’AANES, et la M5, qui relie Alep à Damas, empêchant le ravitaillement des troupes au nord de Homs. Les djihadistes sont maintenant aux portes de Hama, à 180 kilomètres de Damas, après quatre jours d’offensive. Et la province de Deraa, berceau de l’insurrection de 2011, commence à se soulever.

Pour l’instant, il n’y a pas d’affrontement direct avec les forces kurdes, même le quartier kurde d’Alep, Cheikh Massoud, est une zone tranquille où viennent se réfugier de nombreuxEs habitantEs d’Alep, Hayat Tahrir al-Cham jouant la carte du respect des populations civiles pour s’implanter durablement. Pourtant, l’affrontement avec les FDS (Forces démocratiques syriennes) qui ont pris position à la frontière du Rojava est sans doute imminent. 

Mireille Court