L’interminable crise militaire que subissent les populations soudanaises et tchadiennes depuis des années va-t-elle prendre fin? L’asphyxie démocratique, l’accaparement des richesses (notamment pétrolières) par Idriss Déby et son clan et l’instrumentalisation politique de conflits communautaires ont encouragé la formation de nouveaux mouvements politico-militaires aux motivations diverses (lutte contre la dictature ou simple convoitise du pouvoir), en particulier de la part de certains membres de l’entourage proche de Déby passés à la rébellion.
Une des particularités du conflit résidait dans le soutien croisé dont bénéficiaient les mouvements rebelles tchadiens et soudanais, chacun étant armé et soutenu par les autorités du pays voisin. La tension entre les deux pays a connu son apogée après une offensive de l’UFR (Union des forces de la Résistance tchadien) sur Ndjamena qui aurait sans doute renversé Déby en février 2008 sans l’intervention de l’armée française, et, réponse du berger à la bergère, d’une percée du JEM (Mouvement pour la justice et l'égalité soudanais) qui avait atteint les faubourgs de Khartoum en mai suivant. Dopé par les livraisons d’armes françaises, Déby a également été jusqu’à des bombarder les bases rebelles en territoire soudanais.
Début 2010 pourtant, était initié un processus de rapprochement entre les deux pays qui a débouché sur un nouvel accord de paix (les précédents ayant été systématiquement violés), accompagné de la mise en place d’une force mixte à la frontière des deux pays, et surtout de l’arrêt du soutien réciproque accordé jusque là aux mouvements rebelles. Ces mesures ne vont pas sans tensions et sans arrières pensées mais semblent globalement respectées. Ainsi le 20 mai, le dirigeant du JEM Khalil Ibrahim, jusque là jugé très proche de Déby, était déclaré personna non grata au Tchad et exfiltré vers la Libye, même si les liens ne semblent pas totalement rompus. De l’autre côté, les chefs rebelles tchadiens Abakar Tollimi, Timane Erdimi et Mahamat Nouri ont été invités à quitter le Soudan. Si les mouvements rebelles sont affaiblis et divisés, ils n’ont pas pour autant désarmés.
Ce revirement résulte pour partie des pressions externes exercées par plusieurs pays. La France a sans doute pesé par crainte de se retrouver impliquée dans une escalade guerrière contre le Soudan, où elle entend par ailleurs renforcer ses positions économiques, de même que les Etats-Unis et la Chine (qui a aussi des intérêts économiques dans les deux pays). Mais les motivations de Béchir et Déby résultent également de leurs agenda politiques respectifs. Sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale et s’apprêtant à se faire réélire, le président Béchir cherchait à se poser en faiseur de paix et à s’assurer du soutien politique le plus large de la part de ses pairs africains. Alors que le confit du Darfour perdure et que celui du Sud-Soudan pourrait se rallumer à l’occasion du référendum d’autodétermination, il s’agissait aussi de limiter le nombre de fronts. Quant à Déby, il est également soucieux de se ménager une accalmie avant la tenue des prochaines élections législatives en novembre 2010 et présidentielles en 2011 (aucun scrutin ne s’est tenu depuis la dernière présidentielle boycottée par l’opposition démocratique en 2006), et ce d’autant plus que la rente pétrolière a été très largement dilapidée en achats d’armes (le montant, classé confidentiel défense est estimé à 315 millions de dollars en 2009 contre 14 millions en 2000) et que les caisses de l’Etat sont vides.
L’accord de paix avec le Soudan a également permis à Déby d’exiger le départ de la MINURCAT, cette force militaro-policière onusienne mise en place dans le prolongement de l’opération militaire européenne voulue par la France en 2008, sous prétexte de sécurisation des camps de réfugiés et d’aide à la résolution de la crise au Darfour. Si ces deux problèmes demeurent inchangés, la France n’a pas cru devoir protester contre le départ de la force de l’ONU autrefois jugée indispensable, dont le dictateur tchadien craint qu’elle puisse maintenant interférer dans le processus électoral ou l’éventuelle répression post-électorale. La situation a également permis à Déby de hausser le ton à l’égard des autorités françaises, en exigeant un dédommagement financier à la présence permanente des quelques 1150 soldats français.
Si l’opposition civile tchadienne a réussi à obtenir la création d’une Commission électorale indépendante, la détermination de ses attributions et de son fonctionnement continue de susciter de vives tensions avec le pouvoir tchadien, dont on se doute bien qu’il ne renoncera ni au pouvoir ni aux moyens jusqu’ici utilisés pour le conserver. La révision du corps électoral est également contestée. Enfin, à destination des opposants qu’il n’a pas réussi à débaucher, le régime a augmenté les moyens matériels de ses forces répressives et a tenté de pérenniser les mesures liberticides (en particulier contre la presse) prises au nom de «l’état d’urgence» après l’offensive rebelle de février 2008. Nul doute qu’une nouvelle mascarade électorale ne pourrait que contribuer à replonger le pays dans la guerre civile.
Robin Guébois