Bernard Tapie a été placé lundi en garde à vue dans le cadre de l'enquête sur l’affaire du Crédit lyonnais. Avant de se rendre à la convocation des juges, il s’était exclamé sur Europe1 : « Qu’est-ce que vous croyez ? Des rendez-vous comme celui-là, j’en ai eu sept avec Eva Joly. Résultat : six non-lieu et une relaxe […] même système, même procédure, j’en ai rien à foutre »...Tapie a sûrement raison de ne pas s’inquiéter de son sort personnel mais cette affaire donne un tableau éloquent des amitiés particulières entre le monde de l’argent, le pouvoir et ceux qui le servent.De rebondissement en rebondissement, se déroule la série des complicités et acteurs compromis dans cette escroquerie d’État où se mêlent l'avidité sans borne d'un homme d'affaire véreux et la complaisance affichée d’un Président de la République à l'égard des voyous de la haute et du fric...Un autre personnage, Pierre Estoup, vient d’être mis en examen. C'est lui qui a rédigé en 2008 l'arbitrage qui a donné raison à Tapie et obligé le Consortium de réalisation (CDR), l’organisme public chargé de liquider les vieilles affaires du Crédit lyonnais, à lui verser 403 millions d’euros... dont 45 millions au nom du « préjudice moral ». Ses liens anciens avec Tapie étaient, semble-t-il, connus de tout ce milieu des copains et des coquins.Tout avait commencé en 1992. Bernard Tapie entre au gouvernement alors que Mitterrand est Président de la République. Il cède l’essentiel de ses entreprises, dont Adidas acheté deux ans plus tôt et revendu par le Crédit lyonnais deux milliards de francs, prix inespéré pour Tapie. Mais ce dernier estimera avoir été floué par son banquier. Il engage alors une bataille judiciaire contre l’État représenté par le Consortium de réalisation (CDR).
Escroquerie d’ÉtatEn 2007, Sarkozy — que soutient Tapie — est élu. En octobre de la même année, la nouvelle ministre de l’Économie, Christine Lagarde, ordonne au CDR de régler le conflit par un arbitrage privé plutôt que par la justice ordinaire, arbitrage de complaisance qui octroie donc 403 millions à TapieLe 4 août 2011, la Cour ouvre enfin une enquête visant Lagarde pour « complicité de faux » et « complicité de détournement de biens publics ». Puis une information judiciaire contre X est ouverte en septembre 2012 pour « usage abusif des pouvoirs sociaux et recel au préjudice du Consortium de réalisation (CDR) », ensuite étendue à « détournement de fonds publics ».Le 10 juin dernier, l’ancien directeur de cabinet de Lagarde, Stéphane Richard, aujourd'hui PDG d'Orange, et l'ex-président du CDR, Jean-François Rocchi, sont mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». Tout ce petit monde se tenait par la barbichette avec la bénédiction de l’Élysée où Guéant organisait les réunions...À travers les méandres de l'affaire s'étale la nullité de ce milieu qui gravite autour du pouvoir ou l'exerce au plus haut niveau. Comme cette lettre à Sarkozy de Mme la marquise Christine Lagarde qui lui « demande pardon » pour avoir « échoué périodiquement » et conclut : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient » ! Pas très brillants les sommets de l’État et de la finance.
Yvan Lemaitre